Mohamed Arkoun « Le concept de raison islamique » [1]- Présentation et commentaire (septembre 2009)
Etudier le texte de M. Arkoun « Le concept de raison islamique », c'est tenter de comprendre sa mise en perspective critique des courants de pensée étudiés en islam. Les penseurs issus d’une formation traditionnelle lui reprochent de sortir du cadre de la tradition musulmane et d’utiliser des outils modernes d’approche du Texte qui ne sont pas perçus comme acceptables par un grand nombre d’entre eux. La lecture de ce document a été précédée de celle de La pensée arabe [2], pour situer le travail de cet auteur. Quant à l’article lui-même, certains passages me semblaient au départ un peu au dessus de mes capacités actuelles de compréhension, notamment en terme de sémiologie ou de sémiotique : ce fut aussi une stimulation, en direction de l’acquisition d’une culture générale plus large, nécessaire à la poursuite du cursus [3]. Et finalement aussi, l’occasion de découvrir une pensée très construite, très ambitieuse, complexe, interrogeant d’une façon nouvelle les rapports du religieux et du politique.
Nous présenterons le texte en prenant soin de retracer précisément les étapes et articulations du raisonnement puis proposerons notre appréciation personnelle. Il nous a semblé éclairant toutefois de présenter auparavant le parcours personnel de l’auteur et situer sa pensée.
Nous présenterons le texte en prenant soin de retracer précisément les étapes et articulations du raisonnement puis proposerons notre appréciation personnelle. Il nous a semblé éclairant toutefois de présenter auparavant le parcours personnel de l’auteur et situer sa pensée.
Biographie [4]
Mohammed Arkoun est un philosophe et historien de l’islam. Professeur émérite d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne (Paris-III), il enseigne, - au moment de la rédaction de l'article (il est décédé depuis, le 14 septembre 2010) - l’« islamologie appliquée », discipline qu’il a développée à partir des travaux de Roger Bastide sur l’anthropologie appliquée. Il s’intéresse de façon privilégiée à l’impensé dans l’islam classique et contemporain.
Né en 1928 à Taourirt-Mimoun (Ath Yenni), un village kabyle du nord de l’Algérie, il a vécu dans une famille nombreuse et très pauvre [5]. Après ses études secondaires, il étudie la philosophie à la Faculté de littérature d’Alger puis à la Sorbonne à Paris. Il est agrégé en langue et littérature arabe en 1956 et docteur en philosophie en 1968.
Ses importants travaux sur l’œuvre de l’historien et philosophe perse Ibn Miskawayh, du courant humaniste musulman, lui donnent une certaine notoriété. Directeur scientifique de la revue Arabica, il a joué un rôle significatif dans la connaissance érudite de l’islam en occident.
Il a enseigné successivement comme professeur à la faculté de philologie de l’université de Strasbourg, au Lycée Voltaire de Paris, comme maître-assistant à l’université de la Sorbonne, puis, près l’obtention de sa thèse, comme professeur associé à Lyon II, professeur à Paris VIII, finissant sa carrière à Paris III (Sorbonne nouvelle).
Il a été parallèlement poursuivi une carrière internationale, successivement membre du Wissenschaftskolleg de Berlin et de l’Institute for Advanced Studies de Princeton, Professeur affilié de l’Université de Californie, du Temple University, de l’Université de Louvain-la-Neuve, de l’Université Princeton, du Pontifical Institute of Arabic Studies à Rome et à l’Université d’Amsterdam. Il a dispensé en outre ponctuellement de nombreux cours et conférences à travers le monde.
En 2001, Mohammed Arkoun, invité par les prestigieuses « conférences de Gifford » (Gifford Lectures) à l’université d’Édimbourg, il présente son « Inauguration d’une critique de la raison islamique » (Inaugurating a Critique of Islamic Reason). Il est en septembre 2009 professeur émérite à La Sorbonne, associé senior à la recherche à l’Institut des Études Ismailiennes de Londres (The Institute of Ismaili Studies, (IIS), et membre du Conseil Supérieur de l’Administration de l’IIS.
Il est l’auteur de nombreuses publications en Français, Arabe et Anglais. Parmi les œuvres françaises, citons : L’humanisme arabe au Xème siècle, Vrin, 1982, Lectures du Coran, Maisonneuve et Larose, 1982, L’islam, Morale et politique, Desclée de Brouwer/Unesco, 1986,La pensée arabe, PUF, Que sais-je ? 1991. Les dernières œuvres arabes ont pour titre : Ma‘ârik min ajli-l-ansana fî-l-siyâqât al-islâmiyya, édité par Dâr al-sâqî, 2001 et Min al-Tafsîr al-mawrûth ilâ tahlîl al-khitâb al-dînî, Dâr al-Talî‘a, Beyrouth 2001.En Anglais, on peut citer un ouvrage relativement récent, – The Unthought in Contemporary Islamic Thought, paru à Londres en 2002 [6].
Né en 1928 à Taourirt-Mimoun (Ath Yenni), un village kabyle du nord de l’Algérie, il a vécu dans une famille nombreuse et très pauvre [5]. Après ses études secondaires, il étudie la philosophie à la Faculté de littérature d’Alger puis à la Sorbonne à Paris. Il est agrégé en langue et littérature arabe en 1956 et docteur en philosophie en 1968.
Ses importants travaux sur l’œuvre de l’historien et philosophe perse Ibn Miskawayh, du courant humaniste musulman, lui donnent une certaine notoriété. Directeur scientifique de la revue Arabica, il a joué un rôle significatif dans la connaissance érudite de l’islam en occident.
Il a enseigné successivement comme professeur à la faculté de philologie de l’université de Strasbourg, au Lycée Voltaire de Paris, comme maître-assistant à l’université de la Sorbonne, puis, près l’obtention de sa thèse, comme professeur associé à Lyon II, professeur à Paris VIII, finissant sa carrière à Paris III (Sorbonne nouvelle).
Il a été parallèlement poursuivi une carrière internationale, successivement membre du Wissenschaftskolleg de Berlin et de l’Institute for Advanced Studies de Princeton, Professeur affilié de l’Université de Californie, du Temple University, de l’Université de Louvain-la-Neuve, de l’Université Princeton, du Pontifical Institute of Arabic Studies à Rome et à l’Université d’Amsterdam. Il a dispensé en outre ponctuellement de nombreux cours et conférences à travers le monde.
En 2001, Mohammed Arkoun, invité par les prestigieuses « conférences de Gifford » (Gifford Lectures) à l’université d’Édimbourg, il présente son « Inauguration d’une critique de la raison islamique » (Inaugurating a Critique of Islamic Reason). Il est en septembre 2009 professeur émérite à La Sorbonne, associé senior à la recherche à l’Institut des Études Ismailiennes de Londres (The Institute of Ismaili Studies, (IIS), et membre du Conseil Supérieur de l’Administration de l’IIS.
Il est l’auteur de nombreuses publications en Français, Arabe et Anglais. Parmi les œuvres françaises, citons : L’humanisme arabe au Xème siècle, Vrin, 1982, Lectures du Coran, Maisonneuve et Larose, 1982, L’islam, Morale et politique, Desclée de Brouwer/Unesco, 1986,La pensée arabe, PUF, Que sais-je ? 1991. Les dernières œuvres arabes ont pour titre : Ma‘ârik min ajli-l-ansana fî-l-siyâqât al-islâmiyya, édité par Dâr al-sâqî, 2001 et Min al-Tafsîr al-mawrûth ilâ tahlîl al-khitâb al-dînî, Dâr al-Talî‘a, Beyrouth 2001.En Anglais, on peut citer un ouvrage relativement récent, – The Unthought in Contemporary Islamic Thought, paru à Londres en 2002 [6].
Situer la pensée de Mohamed Arkoun
Mohammed Arkoun pense qu’il est essentiel que l’islam accède à la modernité, politique et culturelle. C’est une «subversion» de la pensée islamique à laquelle il appelle : « Rien ne se fera sans une subversion des systèmes de pensée religieuse anciens et des idéologies de combat qui les confortent, les réactivent et les relaient. Actuellement, toute intervention subversive est doublement censurée: censure officielle par les États et censure des mouvements islamistes. Dans les deux cas, la pensée moderne et ses acquis scientifiques sont rejetés ou, au mieux, marginalisés. L’enseignement de la religion, l’islam à l’exclusion des autres, est sous la dépendance de l’orthodoxie fondamentaliste ».
Mohammed Arkoun a développé pour cela une discipline nouvelle, l’islamologie appliquée, issue d’une idée qui existait déjà avec l’anthropologie appliquée de Roger Bastide, et le rationalisme appliqué de Gaston Bachelard. La notion d’islamologie appliquée lui est venue après l’indépendance de l’Algérie, après qu'il eût constaté et analysé les contradictions dans la culture de son pays et des pays du Maghreb après la fin de la période coloniale. Il a alors observé que les Algériens se sont mis à invoquer l’islam, à la fois en tant que religion et en tant que culture, dans le but de reconstruire la spécificité arabo-islamique niée par le colonialisme. Cette conception et la politique en découlant ne tenaient selon lui absolument pas compte, dans la nouvelle situation ni de la réalité et des caractères propres à l’histoire de l’Algérie, ni non plus du Maghreb dont il fait partie, ainsi que plus généralement de l’histoire de l’islam et de la pensée islamique.
Mohammed Arkoun a développé pour cela une discipline nouvelle, l’islamologie appliquée, issue d’une idée qui existait déjà avec l’anthropologie appliquée de Roger Bastide, et le rationalisme appliqué de Gaston Bachelard. La notion d’islamologie appliquée lui est venue après l’indépendance de l’Algérie, après qu'il eût constaté et analysé les contradictions dans la culture de son pays et des pays du Maghreb après la fin de la période coloniale. Il a alors observé que les Algériens se sont mis à invoquer l’islam, à la fois en tant que religion et en tant que culture, dans le but de reconstruire la spécificité arabo-islamique niée par le colonialisme. Cette conception et la politique en découlant ne tenaient selon lui absolument pas compte, dans la nouvelle situation ni de la réalité et des caractères propres à l’histoire de l’Algérie, ni non plus du Maghreb dont il fait partie, ainsi que plus généralement de l’histoire de l’islam et de la pensée islamique.
Or cette culture et la pensée islamique ont connu des périodes tout à fait différentes. Au XIIIe siècle s’est produit une rupture au sein même de la pensée islamique, bien avant l’intervention extérieure de la colonisation. Pour M. Arkoun, la plupart des musulmans refusent aujourd’hui de prendre véritablement en compte l’histoire longue de l’islam, ce qui pourtant serait nécessaire. Au Xe siècle, en effet, le monde musulman connut une vie intellectuelle brillante et très riche. Se développa notamment la philosophie islamique, au contact des auteurs grecs, en particulier Platon et Aristote, qui furent lus et traduits dans la perspective d’une synthèse à accomplir avec la pensée musulmane. A cette époque, la culture musulmane était ouverte aux autres cultures, en particulier à celles qui étaient présentes au Proche-Orient, et également dans l’Espagne d’al-Andalus. La religion, précise Arkoun, n’était pas alors en situation de prétendre contrôler la culture et la vie intellectuelle.
Mohamed Arkoun, qui raisonne en savant historien et philosophe, soutient que pour tous les pays musulmans, l’écriture de l’histoire et la vision portée sur le passé dans son lien avec la religion, d’une part, et d’autre part, une lecture critique de l’islam à la fois comme religion et comme tradition de pensée, se trouvent nouées à la notion d’identité nationale.
Avec l’islamologie appliquée, M. Arkoun analyse les contradictions internes à l’histoire algérienne ainsi que les différences entre le monde musulman et le monde occidental et les différents discours qui les expriment.
NB : Sur la pensée de M. Arkoun, on peut lire un excellent entretien accordé au journal l’Humanité du 13 novembre 2001 sous le titre « Mohamed Arkoun : l’impensé dans l’islam contemporain » qui montre bien comment sa démarche authentiquement scientifique est intimement liée à ses inquiétudes face à la situation en Algérie au lendemain de l’indépendance, moment « où les Algériens convoquaient l’islam, comme religion et comme culture, en vue de reconstruire la personnalité arabo-islamique détruite par le colonialisme [7] ». Or cet islam s’était figé depuis le 13ème siècle de l’ère chrétienne. L’enjeu de l’islamologie appliquée dépasse donc dès le départ largement le cadre scientifique. Il est d’abord celui d’une réappropriation critique de la pensée islamique par la société algérienne. Il s’est ensuite élargi à une réflexion touchant à la place de la religion dans les sociétés contemporaines.
Citations :
« L’idée de confronter les activités de la raison dans les contextes islamiques contemporains aux usages antécédents d’une part et aux usages de la raison moderne dans son parcours européen d’autre part, est demeurée présente dans tous mes écrits et tout mon enseignement » [8].
« Je me situe d’un point de vue interne à l’islam : j’ai la préoccupation de restaurer notre compréhension du phénomène religieux comme phénomène universel. J’entends restaurer cette vérité historique selon laquelle les religions ont inspiré, orienté et enrichi la créativité culturelle, quelle que soit la tradition à laquelle on se réfère. Je donne la possibilité d’entrer dans la religion par la culture et non pas nécessairement par le catéchisme. (…). En militant pour cette approche des religions par leurs dimensions culturelles, j’ai le sentiment de contribuer à la construction d’un espace civique moderne – pas seulement pour une religion, mais pour des religions. Je suis persuadé que cela peut enrichir notre réflexion sur le politique, notre réflexion sur les conditions de production du sens dans les sociétés, et sur la critique de ce que les sociétés appellent « les valeurs ».(…). Il faut prendre en charge de façon critique la prétention des religions d’aujourd’hui à dire le droit dans nos sociétés. A commencer par l’islam politique [9]. »
Mohamed Arkoun, qui raisonne en savant historien et philosophe, soutient que pour tous les pays musulmans, l’écriture de l’histoire et la vision portée sur le passé dans son lien avec la religion, d’une part, et d’autre part, une lecture critique de l’islam à la fois comme religion et comme tradition de pensée, se trouvent nouées à la notion d’identité nationale.
Avec l’islamologie appliquée, M. Arkoun analyse les contradictions internes à l’histoire algérienne ainsi que les différences entre le monde musulman et le monde occidental et les différents discours qui les expriment.
NB : Sur la pensée de M. Arkoun, on peut lire un excellent entretien accordé au journal l’Humanité du 13 novembre 2001 sous le titre « Mohamed Arkoun : l’impensé dans l’islam contemporain » qui montre bien comment sa démarche authentiquement scientifique est intimement liée à ses inquiétudes face à la situation en Algérie au lendemain de l’indépendance, moment « où les Algériens convoquaient l’islam, comme religion et comme culture, en vue de reconstruire la personnalité arabo-islamique détruite par le colonialisme [7] ». Or cet islam s’était figé depuis le 13ème siècle de l’ère chrétienne. L’enjeu de l’islamologie appliquée dépasse donc dès le départ largement le cadre scientifique. Il est d’abord celui d’une réappropriation critique de la pensée islamique par la société algérienne. Il s’est ensuite élargi à une réflexion touchant à la place de la religion dans les sociétés contemporaines.
Citations :
« L’idée de confronter les activités de la raison dans les contextes islamiques contemporains aux usages antécédents d’une part et aux usages de la raison moderne dans son parcours européen d’autre part, est demeurée présente dans tous mes écrits et tout mon enseignement » [8].
« Je me situe d’un point de vue interne à l’islam : j’ai la préoccupation de restaurer notre compréhension du phénomène religieux comme phénomène universel. J’entends restaurer cette vérité historique selon laquelle les religions ont inspiré, orienté et enrichi la créativité culturelle, quelle que soit la tradition à laquelle on se réfère. Je donne la possibilité d’entrer dans la religion par la culture et non pas nécessairement par le catéchisme. (…). En militant pour cette approche des religions par leurs dimensions culturelles, j’ai le sentiment de contribuer à la construction d’un espace civique moderne – pas seulement pour une religion, mais pour des religions. Je suis persuadé que cela peut enrichir notre réflexion sur le politique, notre réflexion sur les conditions de production du sens dans les sociétés, et sur la critique de ce que les sociétés appellent « les valeurs ».(…). Il faut prendre en charge de façon critique la prétention des religions d’aujourd’hui à dire le droit dans nos sociétés. A commencer par l’islam politique [9]. »
Présentation de l’article « Le concept de raison islamique »
Genèse et légitimation du projet
Le texte ici présenté semble être une introduction inachevée à un projet ambitieux en plusieurs volumes [10]. Si l’auteur l’a mis en ligne en l’état actuel (septembre 2009), c’est qu’il estime sans doute avoir avancé des éléments nouveaux et suffisamment cohérents pour pouvoir être porté à connaissance des chercheurs qui s’intéressent à la pensée islamique.
Il se présente en quatre points très inégalement développés : le premier indique la genèse du projet en cours et donne les éléments de sa légitimation (pages 1 à 6) ; le deuxième définit le concept de raison islamique classique, dénommée par la suite RIC (pages 6 à 7) ; le troisième présente la tension loi/droit d’abord sur la base de l’approche critique de la Risâla de Shâfi’i (pages 7 à 23) puis en présentant les « raisons concurrentes » (pages 23 à 32); le quatrième point s’intéresse aux utilisations effective de la RI en fonction des groupes sociaux historiquement situés, et à la fonction mobilisatrice/émancipatrice du discours coranique. Le texte se conclut par un appel à poursuivre la critique de la RI.
Nous en faisons ici le résumé précis et détaillé, de façon à faire ressortir les articulations du raisonnement de l’auteur :
C’est l’enseignement conjoint à la Sorbonne des Usul al-din et des Usul al fiqh qui entraîne M. Arkoun à élaborer sa vision de la raison islamique. Il reprend ici un premier travail effectué en 1979, publié d’abord en 1981 dans le volume XVIII de l’Annuaire de l’Afrique du Nord, puis en 1984 dans sa Critique de la Raison islamique (CRI). Ce concept de RI sera présenté ensuite lors d’un colloque philosophique organisé en 1993, ayant donné lieu à publication en 1997 de l’ouvrage La raison et la question des limites. Dans l’article étudié c’est la version de 1981 qui est reprise pour apprécier le concept à la lumière des débats postérieurs dans les milieux des sciences sociales, de la philosophie et de la théologie, ainsi que ceux qui sont nés sous la pression de l’actualité.
Le texte ici présenté semble être une introduction inachevée à un projet ambitieux en plusieurs volumes [10]. Si l’auteur l’a mis en ligne en l’état actuel (septembre 2009), c’est qu’il estime sans doute avoir avancé des éléments nouveaux et suffisamment cohérents pour pouvoir être porté à connaissance des chercheurs qui s’intéressent à la pensée islamique.
Il se présente en quatre points très inégalement développés : le premier indique la genèse du projet en cours et donne les éléments de sa légitimation (pages 1 à 6) ; le deuxième définit le concept de raison islamique classique, dénommée par la suite RIC (pages 6 à 7) ; le troisième présente la tension loi/droit d’abord sur la base de l’approche critique de la Risâla de Shâfi’i (pages 7 à 23) puis en présentant les « raisons concurrentes » (pages 23 à 32); le quatrième point s’intéresse aux utilisations effective de la RI en fonction des groupes sociaux historiquement situés, et à la fonction mobilisatrice/émancipatrice du discours coranique. Le texte se conclut par un appel à poursuivre la critique de la RI.
Nous en faisons ici le résumé précis et détaillé, de façon à faire ressortir les articulations du raisonnement de l’auteur :
C’est l’enseignement conjoint à la Sorbonne des Usul al-din et des Usul al fiqh qui entraîne M. Arkoun à élaborer sa vision de la raison islamique. Il reprend ici un premier travail effectué en 1979, publié d’abord en 1981 dans le volume XVIII de l’Annuaire de l’Afrique du Nord, puis en 1984 dans sa Critique de la Raison islamique (CRI). Ce concept de RI sera présenté ensuite lors d’un colloque philosophique organisé en 1993, ayant donné lieu à publication en 1997 de l’ouvrage La raison et la question des limites. Dans l’article étudié c’est la version de 1981 qui est reprise pour apprécier le concept à la lumière des débats postérieurs dans les milieux des sciences sociales, de la philosophie et de la théologie, ainsi que ceux qui sont nés sous la pression de l’actualité.
Les lignes de partage habituellement dressées (sciences religieuses et sciences rationnelles, traditionalistes et rationalistes, etc..) sont des simplifications trompeuses, qui ont pris en quelque sorte « au pied de la lettre » la littérature de combat dans l’enjeu d’établir une orthodoxie. Les expressions comme Ahl as Sunna, Ahl ar ra’y, Mu’tazila, etc., recouvrent des attitudes évolutives en relation aux enjeux de « vérité » doctrinale comme à ceux de l’élaboration d’un code juridique unificateur dans l’espace musulman, le contexte étant celui « des enjeux de positionnement des acteurs dans des espaces socioculturels et épistémiques différenciés » (Médine, Basra, Kûfa, Bagdad…) et des espaces politiques en émergence.
Le projet est ici d’identifier les « lieux de cristallisation » de ce qui deviendra la croyance dogmatique dominante, une orthodoxie finalement représentative de majorités sociologiques s’unifiant pour se consolider face à des minorités menaçantes ou des majorités concurrentes, chaque rationalité soutenant un discours ou une vision particuliers ayant en commun avec toutes les autres de regarder vers un Moment fondateur, celui de la descente du Texte à travers un homme, Muhammad, progressivement transfiguré en « Figure symbolique idéale ». Le récit coranique est reçu au moment de la Révélation comme expérience originaire de Dieu, expérience dont la représentation va être retravaillée par le communauté des croyants en formation, communauté en quête d’unité et au sein de laquelle émergent de la part de l’élite plusieurs niveaux de rationalité, nés sous la pression de demandes socioculturelles et d’intérêts politiques comme de contraintes épistémiques.
Avec Abu Hanifa se manifeste une première rationalité critique positive dans le domaine du droit. Cette même rationalité critique est présente parmi les Djahmiyya [11] et les Mu’tazilites, qui sera vivement combattus par les hanbalites.
La revendication d’une Raison éternelle en concordance parfaite et préétablie avec la Révélation traverse depuis le début les différents courants de pensée en islam. Un hadith, récusé par Ibn Taymiyya, conforte la croyance en une origine divine de la Raison : « la première créature que Dieu ait créée fut l’Intellect . Il dit alors : par toi, j’accorde et par toi, je refuse ». La raison est en somme transcendantalisée. En outre, comme l’a mis en évidence L. Massignon, toute chose reçoit sa haqiqa (vérité ou réalité intrinsèque), son existence objective (kawn), son statut légal (hukm) de son nom coranique (ism). La croyance en une origine et un soutien divin de la raison a ainsi été soutenue par un corpus linguistique précis, le Coran, auquel seront adjoints la Sunna des Prophètes et des Imâms, établissant le fondement de toute pensée islamique. Cette articulation spécifique croyance-raison (une Raison d’origine divine) permet d’identifier une raison islamique (RI).
Si cette raison a été abondamment décrite, il n’existe pas de critique épistémologique de ses principes et catégories, et de l’impensé qui découle des limites que chaque orthodoxie a imposé à l’espace du « pensable vrai ». Cette absence est d’autant plus dommageable que deux phénomènes contemporains requerraient une telle approche :
Le projet est ici d’identifier les « lieux de cristallisation » de ce qui deviendra la croyance dogmatique dominante, une orthodoxie finalement représentative de majorités sociologiques s’unifiant pour se consolider face à des minorités menaçantes ou des majorités concurrentes, chaque rationalité soutenant un discours ou une vision particuliers ayant en commun avec toutes les autres de regarder vers un Moment fondateur, celui de la descente du Texte à travers un homme, Muhammad, progressivement transfiguré en « Figure symbolique idéale ». Le récit coranique est reçu au moment de la Révélation comme expérience originaire de Dieu, expérience dont la représentation va être retravaillée par le communauté des croyants en formation, communauté en quête d’unité et au sein de laquelle émergent de la part de l’élite plusieurs niveaux de rationalité, nés sous la pression de demandes socioculturelles et d’intérêts politiques comme de contraintes épistémiques.
Avec Abu Hanifa se manifeste une première rationalité critique positive dans le domaine du droit. Cette même rationalité critique est présente parmi les Djahmiyya [11] et les Mu’tazilites, qui sera vivement combattus par les hanbalites.
La revendication d’une Raison éternelle en concordance parfaite et préétablie avec la Révélation traverse depuis le début les différents courants de pensée en islam. Un hadith, récusé par Ibn Taymiyya, conforte la croyance en une origine divine de la Raison : « la première créature que Dieu ait créée fut l’Intellect . Il dit alors : par toi, j’accorde et par toi, je refuse ». La raison est en somme transcendantalisée. En outre, comme l’a mis en évidence L. Massignon, toute chose reçoit sa haqiqa (vérité ou réalité intrinsèque), son existence objective (kawn), son statut légal (hukm) de son nom coranique (ism). La croyance en une origine et un soutien divin de la raison a ainsi été soutenue par un corpus linguistique précis, le Coran, auquel seront adjoints la Sunna des Prophètes et des Imâms, établissant le fondement de toute pensée islamique. Cette articulation spécifique croyance-raison (une Raison d’origine divine) permet d’identifier une raison islamique (RI).
Si cette raison a été abondamment décrite, il n’existe pas de critique épistémologique de ses principes et catégories, et de l’impensé qui découle des limites que chaque orthodoxie a imposé à l’espace du « pensable vrai ». Cette absence est d’autant plus dommageable que deux phénomènes contemporains requerraient une telle approche :
en matière d’histoire générale de la pensée, des méthodologies et des problématiques nouvelles ont vu le jour (élargissements historiques, linguistiques, anthropologiques,…, recherche des conditions sociales de production et reproduction des raisons). Il est urgent de les appliquer à l’étude de l’islam comme religion et tradition de pensée pour remédier aux présupposés essentialistes d’une histoire linéaire des idées. L’islam politique contemporain construit son discours sur une sélection opérée par voie de citations utilisées à des fins idéologiques, citations sans mention de leur contexte textuel et historique. Le transfert ainsi opéré de façon arbitraire prélevé dans un corpus daté vers un nouveau contexte vécu est une « manipulation épistémique et sémantique », qui reste inexplorée par les travaux des politologues contemporains ; ces derniers ne s’intéressent jamais aux transformations de « l’ordre des raisons ».
Il s’agira donc d’identifier des types et niveaux de rationalité résultant d’usages diversifiés de la discursivité en fonction des objectifs à atteindre par les énonciateurs de chaque discours. En outre, dans une tradition où le donné révélé n’a cessé de jouer le rôle prépondérant dans l’exercice de la raison, la question se pose de savoir si une raison légaliste militante n’a pas finalement éliminé des postures cognitives fécondes.
Pour conduire l’analyse, la voie choisie sera multi et trans-disciplinaire, s’appuyant sur la linguistique, l’anthropologie, la psychologie, la sociologie et l’épistémologie historique, plutôt que sur une histoire linéaire de l’histoire des idées en islam. L’approche historique sera utilisée en premier lieu, mais dans la visée de dévoiler des problèmes épistémologiques. L’objectif de la critique de la RI est de rendre plus lisibles les limites cognitives et épistémologiques des rationalités qui se sont construites au fil du temps, et de mettre fin à l’illusion d’une continuité linéaire entre raison classique et raison contemporaine, qui se manifeste par une exploitation apologétique du patrimoine culturel et intellectuel arabes classiques.
Pour conduire l’analyse, la voie choisie sera multi et trans-disciplinaire, s’appuyant sur la linguistique, l’anthropologie, la psychologie, la sociologie et l’épistémologie historique, plutôt que sur une histoire linéaire de l’histoire des idées en islam. L’approche historique sera utilisée en premier lieu, mais dans la visée de dévoiler des problèmes épistémologiques. L’objectif de la critique de la RI est de rendre plus lisibles les limites cognitives et épistémologiques des rationalités qui se sont construites au fil du temps, et de mettre fin à l’illusion d’une continuité linéaire entre raison classique et raison contemporaine, qui se manifeste par une exploitation apologétique du patrimoine culturel et intellectuel arabes classiques.
Le moment formatif de la raison islamique classique (RIC) se situe dans la période 661-848, début de la réaction dite sunnite avec l’avènement de Mutawakkil [12] (847-861). Auparavant se situe le moment prophétique stricto sensu (610-632) et largo sensu (632-661). Notre accès au discours prophétique n’est pas direct : il passe par le travail interprétatif de cette RIC. C’est pourquoi, méthodologiquement, il faut d’abord identifier les conditionnements cognitifs et épistémologiques de celle-ci, dans le but de nous en libérer.
Dans le sunnisme, toute la tradition exégétique du Coran se réfère à Tabari (m. 923) et ses successeurs. Dans le shi’isme, le même rôle est tenu par Kulayni (m. 940).
On verra que la RIC a construit une perception mythique du Moment inaugurateur du fait islamique à l’aide de techniques de narration qui lui sont propres. Sera ensuite abordée la question de la raison scolastique et du sens pratique pour revenir au moment prophétique et formatif.
Dans le sunnisme, toute la tradition exégétique du Coran se réfère à Tabari (m. 923) et ses successeurs. Dans le shi’isme, le même rôle est tenu par Kulayni (m. 940).
On verra que la RIC a construit une perception mythique du Moment inaugurateur du fait islamique à l’aide de techniques de narration qui lui sont propres. Sera ensuite abordée la question de la raison scolastique et du sens pratique pour revenir au moment prophétique et formatif.
La raison islamique classique (RIC)
La RIC diffère de la raison classique en contexte islamique, qui couvre l’ensemble des sciences rationnelles (philosophie et sciences profanes), laquelle conserve une relative autonomie à l’égard du donné révélé. Le concept de RIC désigne les sciences religieuses, qui peinent à accepter le kalâm et condamne la raison philosophique. La RIC est étudiée en contexte islamique, c’est-à-dire dans l’espace socioculturel où l’islam est religion dominante et où s’applique la loi islamique.
Plutôt que de partir d’un classicisme à son point d’achèvement ou d’une revue des différents courants, il a semblé plus fructueux de s’appuyer sur l’approche critique d’une œuvre-test, dans laquelle convergents des cheminements antérieurs et d’où partent ensuite des prolongements doctrinaux à partir du 3ème/9ème siècle.. Il existe plusieurs œuvres-tests. A été ici retenue la Risâla (Epître)de Shâfi’î [13] (150-204/767-820), qui sera présentée autour de la tension Loi/Droit ou Sharî’a/fiqh.
La tension Droit/Loi ou Sharî’a/Fiqh chez Shâfi’ï
Présentation de la Risâla
Est ici analysée la version finale de cet ouvrage, étudié par des générations de croyants. La Risâla se présente comme un ensemble de réponses de l’auteur aux questions d’un interlocuteur réel ou imaginaire. On trouve dans cet ouvrage des divisions formelles. Mais les différentes éditions ont divisé le texte sans chercher à saisir les principes organisateurs qui sous-tendent son écriture (l’édition de Shâkir au Caire en 1940 arrive à 1821 paragraphes, celles de Khadduri en Anglais en propose 825 répartis en quinze chapitres, l’édition française de 1997 reprend les 1821 paragraphes de l’édition égyptienne). Or, la lecture de la table des matières [14] fait apparaître qu’il s’agit dans l’ensemble de l’ouvrage de traiter un même problème central, celui des fondements de l’Autorité en islam. Ce problème est abordé sous deux aspects : les fondements de l’Autorité divine, explicités dans le Coran et la Sunna ; les fondements de l’autorité humaine, exercée par les ulamas habilités à pratiquer les règles de l’ijtihad. Le chapitre 1 est une introduction, les trois suivants par leur taille et leur succession indiquent une hiérarchisation des instances de l’Autorité : il est traité du Coran (220 versets), du hadith (100 hadith et 105 pages dans la traduction anglaise), puis des différentes méthodes d’extraction des statuts juridiques (67 pages).
La Risâla est écrite sur la base d’un corpus fini et fermé (Coran et hadith authentique). Toutes ses opérations sont transcendées par la présence de l’Autorité absolue, conférée au Texte. Deux orientations de recherche peuvent être dégagées pour aborder la Risâla : l’axe langue, vérité et droit ; l’axe vérité et histoire.
- Langue, vérité et droit
Le livre débute par une introduction linguistique traitant de al-bayân (l’exposition claire) dans le Coran. Après Shâfi’i, tous les traités d’usul al fiqh commenceront par une introduction linguistique, car les juristes travaillent sur les versets et hadith à contenu législatif, qui exigent, pour parvenir à des résultats rigoureux, d’avoir fait l’objet d’une analyse lexicographique et rhétorique précise. Ils partagent avec les théologiens le souci d’affirmer la transcendance et la cohérence du donné révélé. Al-Âmidî (m. 631/1233) écrira que la science du droit repose sur trois piliers : la théologie spéculative, la langue arabe et les qualifications légales. Shâfî’i dès son introduction défend le statut privilégié de la langue arabe par rapport aux autres langues. Le thème de l’inimitabilité du Coran à son époque ne dispose pas du vocabulaire technique qui sera fixé plus tard. C’est pourquoi, on peut saisir dans son exposé des idées-forces constitutives de la conviction islamique, qui seront plus tard rattachées à la raison, transférant des propositions indémontrables au domaine de réalités vérifiables par l’usage de la raison pratique. Il y a là un passage de la conviction à la raison typique de l’exercice de la pensée soumise aux impératifs de la foi.
Dans les neuf premières pages de la Risâla sont rappelés les éléments fondamentaux de la conviction islamique, dont le rappel permet de suivre les passages subtils entre conviction et raison. Les articles de foi énumérés par Shâfî’i peuvent être ramenés à dix :
Plutôt que de partir d’un classicisme à son point d’achèvement ou d’une revue des différents courants, il a semblé plus fructueux de s’appuyer sur l’approche critique d’une œuvre-test, dans laquelle convergents des cheminements antérieurs et d’où partent ensuite des prolongements doctrinaux à partir du 3ème/9ème siècle.. Il existe plusieurs œuvres-tests. A été ici retenue la Risâla (Epître)de Shâfi’î [13] (150-204/767-820), qui sera présentée autour de la tension Loi/Droit ou Sharî’a/fiqh.
La tension Droit/Loi ou Sharî’a/Fiqh chez Shâfi’ï
Présentation de la Risâla
Est ici analysée la version finale de cet ouvrage, étudié par des générations de croyants. La Risâla se présente comme un ensemble de réponses de l’auteur aux questions d’un interlocuteur réel ou imaginaire. On trouve dans cet ouvrage des divisions formelles. Mais les différentes éditions ont divisé le texte sans chercher à saisir les principes organisateurs qui sous-tendent son écriture (l’édition de Shâkir au Caire en 1940 arrive à 1821 paragraphes, celles de Khadduri en Anglais en propose 825 répartis en quinze chapitres, l’édition française de 1997 reprend les 1821 paragraphes de l’édition égyptienne). Or, la lecture de la table des matières [14] fait apparaître qu’il s’agit dans l’ensemble de l’ouvrage de traiter un même problème central, celui des fondements de l’Autorité en islam. Ce problème est abordé sous deux aspects : les fondements de l’Autorité divine, explicités dans le Coran et la Sunna ; les fondements de l’autorité humaine, exercée par les ulamas habilités à pratiquer les règles de l’ijtihad. Le chapitre 1 est une introduction, les trois suivants par leur taille et leur succession indiquent une hiérarchisation des instances de l’Autorité : il est traité du Coran (220 versets), du hadith (100 hadith et 105 pages dans la traduction anglaise), puis des différentes méthodes d’extraction des statuts juridiques (67 pages).
La Risâla est écrite sur la base d’un corpus fini et fermé (Coran et hadith authentique). Toutes ses opérations sont transcendées par la présence de l’Autorité absolue, conférée au Texte. Deux orientations de recherche peuvent être dégagées pour aborder la Risâla : l’axe langue, vérité et droit ; l’axe vérité et histoire.
- Langue, vérité et droit
Le livre débute par une introduction linguistique traitant de al-bayân (l’exposition claire) dans le Coran. Après Shâfi’i, tous les traités d’usul al fiqh commenceront par une introduction linguistique, car les juristes travaillent sur les versets et hadith à contenu législatif, qui exigent, pour parvenir à des résultats rigoureux, d’avoir fait l’objet d’une analyse lexicographique et rhétorique précise. Ils partagent avec les théologiens le souci d’affirmer la transcendance et la cohérence du donné révélé. Al-Âmidî (m. 631/1233) écrira que la science du droit repose sur trois piliers : la théologie spéculative, la langue arabe et les qualifications légales. Shâfî’i dès son introduction défend le statut privilégié de la langue arabe par rapport aux autres langues. Le thème de l’inimitabilité du Coran à son époque ne dispose pas du vocabulaire technique qui sera fixé plus tard. C’est pourquoi, on peut saisir dans son exposé des idées-forces constitutives de la conviction islamique, qui seront plus tard rattachées à la raison, transférant des propositions indémontrables au domaine de réalités vérifiables par l’usage de la raison pratique. Il y a là un passage de la conviction à la raison typique de l’exercice de la pensée soumise aux impératifs de la foi.
Dans les neuf premières pages de la Risâla sont rappelés les éléments fondamentaux de la conviction islamique, dont le rappel permet de suivre les passages subtils entre conviction et raison. Les articles de foi énumérés par Shâfî’i peuvent être ramenés à dix :
al hamdu li-llâhi, la parole que Dieu a enseigné au Prophète, la relation ontologique fondatrice de toutes les autres relations, avec Dieu, le monde ; les êtres, l’histoire ; Au moment où arrive l’Envoyé de Dieu, les hommes se répartissaient en deux groupes : – les gens du Livre, qui avaient modifié Ses enseignements, – les infidèles idolâtres ; Avant l’arrivée de Muhammad, les infidèles suscitaient la colère de Dieu. Lorsque la rébellion de ces peuples a atteint un sommet, Dieu a manifesté son Qadâ’(Décret) en manifestant Sa religion. Pour transmettre Sa Révélation, il a choisi en Muhammad la plus éminente des créatures, et distingué le peuple et les proches parents du Prophète. Il lui a révélé le Livre où licite et illicite sont clairement définis, testant ainsi l’obéissance des créatures, soumises à l’obligation de lui rendre un culte par la parole et par l’action. La Révélation manifeste Sa Miséricorde et la Preuve de Son Existence. Celui qui connaît le Livre le sait. Celui qui a acquis la science des qualifications fixées par Dieu dans Son Livre et est en mesure de l’appliquer a atteint la vertu et doit être reconnu comme un guide. Seule l’intelligence profonde du Livre et de la Tradition nous permet de rendre grâce à Celui qui nos a comblé de bienfaits en nous incluant dans la meilleure des communautés apparues parmi les hommes. Le Livre de Dieu contient nécessairement un indice sur la bonne conduite à tenir pour tout croyant quelle que soit la situation où il peut se trouver.
Ces propositions, soutenues par les preuves que sont les versets coraniques, n’expriment pas une vision subjective, ni une vision propre à une culture spécifique, mais définissent le système de croyances et non croyances des musulmans d’aujourd’hui. L’équivalent est présent dans les professions de foi juive et chrétienne. S’exprime donc ici une raison religieuse normative, accessible au plus grand nombre et de ce fait différente de la raison théologique savante.
Un événement-avènement – la descente de la Révélation – partage l’histoire profane et l’Histoire du Salut en un avant et un après (avant ou après JC, avant ou après Muhammad…). A partir de là est présentée par la raison une cohérence, où le ‘ilm est entendu à la fois comme connaissance au sens de adhésion du cœur à des vérités éternelles et comme savoirs normatifs certains sur divers domaines de la réalité.
La cohérence discursive introduite par Shâfî’i, qui n’existe pas dans le Coran, est une composante essentielle de la RIC. La ‘aql – raison intelligence -, an nafs (l’âme charnelle) et le qalb (coeur) pris ensemble sont en capacité de reproduire le ‘ilm tel qu’exprimé dans les dix propositions présentées ci-dessus. Il y a là imbrication de ce que nous appelons aujourd’hui raison, imagination, imaginaire et mémoire, de sorte que l’on ne peut faire la part du rationnel et de l’irrationnel, de la connaissance mythique et de la connaissance historique, …Or, bien des histoires « modernes » de la pensée religieuse présentent les propositions de la croyance dans une rationalité globale qui permet aux croyants de ne pas s’interroger sur le statut cognitif des « savoirs » attachés à leurs croyances.
C’est déjà ce que fait Shafî’i, qui poursuit en opérant une réduction : les voies du Salut étant clairement exposées dans le Livre, la première tâche de la raison sera de lire correctement tout le Livre, et non plus de l’entendre par la voie réceptive du cœur. La raison discursive et « graphique » a ainsi opéré une mutation fondamentale dans les conditions de production, réception et transmission du sens. Aujourd’hui encore, la Parole est reçue par tous les croyants dans les célébrations liturgiques, tandis que seules les élites savants ont accès au discours rationalisant.
La lecture du Coran impose la connaissance de la langue Arabe. Shâfî’i répond dans la Risâla aux critiques des non-Arabes, qui font observer l’existence de mots d’origine étrangère dans le Texte. Quant à ceux-ci ils « ont peut-être voulu dire que le Coran comporte des termes partiellement ignorés de certains Arabes ». Et d’ailleurs « Si l’on me demande quelle preuve y a-t-il que le Livre de Dieu est en langue arabe sans qu’aucune autre y soit mêlée ? Je répondrai : la preuve est dans le Livre de Dieu où il est dit : « Nous n’avons envoyé aucun messager qui ne s’exprimât dans la langue de son peuple » (Coran (4 ,4). » » . La langue arabe étant la langue de la Révélation, il incombe à tout musulman de déployer tous ses efforts jusqu’à réciter le Livre de Dieu. Shâfî’i précise même qu’il a souligné le fait que le Coran a été révélé en langue arabe pour trois raisons : la nécessité d’éclairer compréhension globale de la science du Livre en relation à l’extension de l'Arabe ; donner le bon conseil aux musulmans est une obligation (fard) ; faire éclater la vérité (haqq) et l’appliquer, comme cela est exigé par Dieu.
Il existe ainsi un lien linguistique premier entre la Vérité révélée (al haqq), les vérités-droits (huqûq) et leur expression dans le Coran. Ce lien a été étudié par les sciences du Kalâm et en linguistique dès le 2ème/7ème siècle. Mais Shâfî’i n’utilise pas les argumentations de ces deux disciplines (il a quitté l’Irak pour l’Egypte et ne sera pas directement confronté à la doctrine mutazilite du Coran créé).
En définitive, pour renforcer les convictions du plus grand nombre, l’argument d’autorité, par l’usage de citations de versets et de hadith est suffisant. Ce mode simple d’articulation des vérités fonctionne jusqu’à nos jours. Le discours juridique a joué pour cela un rôle majeur, car le fiqh s’est imposé comme la science par excellence des 7ème au 13ème / 14ème au19ème siècles, période de la reproduction scolastique. Dans chaque Etat-Nation ou chaque Empire, l’éducation religieuse comprenait la formation à une seule école de droit, développant chez l’enfant et l’adolescent des connaissances réflexes.
Ainsi, la RIC doit ses premières limitations théoriques aux Imâms fondateurs d’écoles. L’étude des relations entre vérité, droit et histoire dans la Risâla permettra de préciser ces premières conclusions.
- Vérité, droit et histoire
Shâfî’i déduit la norme juridique de la Vérité (al haqq) du Texte et de la pratique du Prophète. Les seuls éléments historiques considérés sont relatifs à la chaîne de transmission des ahadith et aux normes et coutumes existant dans le contexte dans lequel le juriste est amené à se prononcer. Ainsi est mise en place une stratégie d’annulation de l’historicité par la normativité, présentée comme divine, alors que dans la science historique contemporaine, on parlerait de sacralisation des Textes par les postulats et attitudes propres à la raison théologico-politique et juridique du Moyen-âge (pour les trois monotéhismes). J. Schacht et des auteurs postérieurs ont montré comment Shâfî’i en déduisant les normes exclusivement des Textes sans les mettre en relation aux besoins initiaux ou immédiats a voulu disqualifier les raisonnements personnels (ra’y, istihsân). Dans ces conditions quel est dans la pensée de Shâfî’i la relation entre droit et histoire ?
L’histoire humaine importe peu, puisqu’elle est trouble avant la Révélation et qu’après, elle doit être purifiée et orientée par les commandements et interdits envoyés par Dieu par l’intermédiaire du Prophète. Le rapport entre Vérité et histoire est à sens unique : le Coran est une descente de la Parole de Dieu vers l’histoire, et ne doit rien à celle-ci, qui au contraire, est inscrite dans un temps eschatologique, les conduites dans la dounia (vie terrestre) ne prenant leur sens que dans la akhira (la vie dans l'au-delà).
On reconnaît à Shâfî’i le mérite d’avoir imposé le hadith comme le deuxième fondement non seulement du droit, mais de l’islam en tant que système de croyances. Jusque-là les traditions remontant aux Compagnons et aux Suivants avaient tendance à l’emporter sur celles qui parvenaient du Prophète. Et lorsque deux traditions se contredisaient, on les rejetait toutes deux pour se livrer à l’exercice du ra’y. De même pour le consensus, on privilégiait celui des autorités locales. Shâfî’i réagit contre ces tendances dans son Traité des divergences du hadith et dans sa Risâla, à une époque où se renforçaient des traditions locales avec la coexistence de trois écoles (Médine avec Mâlik, l’Irak avec Abû Hanifa et la Syrie avec Awzä’î. L’enjeu de la discussion est l’Autorité en tant qu’instance de légitimation du pouvoir politique central, dont le pouvoir judiciaire procède par délégation. On le voit à travers l’insistance de Shâfi’î pour démonter que l’Autorité ne s’attache qu’à la tradition prophétique, en citant tous les versets qui font obligation aux croyants d’obéir au Prophète (24, 62 ; 2, 129 ; 2, 151 ; 3, 164 ; 42, 2 ; 2, 231 ; 4, 113 ; 33, 34, cités dans la Risâla de la page 72 à la page 77).
Que le Coran ait insisté pour lier l’Autorité de l’Envoyé à celle du Livre, que Shâfi’î lui-même prenne soin de citer un ensemble de versets disant sensiblement la même chose, tout ceci traduit l’existence de réticences fortes de la part des destinataires du message, ce que ne retient pas l’auteur de la Risâla qui conclut : « Il n’est dès lors pas permis – mais Dieu sait plus – d’identifier la Sagesse à d’autre chose qu’à la Sunna de l’envoyé de Dieu. En effet, la Sagesse est jointe au Livre de Dieu et Dieu a fait de l’obéissance à son Envoyé une obligation … » (p. 77).
Shâf’î complète cette « démonstration avec d’autres versets qui soit associent obligation d’obéir à Dieu et obligation d’obéir à l’Envoyé qui soit mentionnent uniquement celle d’obéir au Prophète (33, 36 : 4, 62 ; 4, 71 ; 48, 10 ; 4, 65 ; 24, 48-51).
Quant à l’obéissance à l’Envoyé, elle renvoie au fait que « Dieu a clairement précisé à ses créatures l’obligation de se conformer à ce qui lui a été révélé, aux Commandements et à la Direction attestés par Dieu comme ceux que l’Envoyé a effectivement suivis », ce propos étant appuyé également par plusieurs versets (4, 106 ; 45, 18) (pp. 84-85).
La question est de savoir les conséquences de cette « démonstration » sur le contenu et le fonctionnement de la raison en contexte islamique et sur le rapport Vérité-histoire.
Une clarification épistémologique s’impose quant à la distinction raison/raisons. ‘aql est utilisé en Arabe de deux façons : en tant que nom verbal de ‘aqala, pour désigner un effort d’explicitation, et en tant que substantif pour référer au maq’ûl, ce qui est rendu intelligible et possède la ‘illa (raison d’être). Au 3ème/9ème siècle, sous l’influence de la philosophie grecque, la raison s’approprie des outils techniques, tout en étant pénétrée de la vision islamique de la vérité. Se constituent alors les oppositions hifz/’ilm-sinâ’a (ensemble de données mémorisées/connaissances acquises à l’aide de la raison) et riwâya/dirâya et sam’-naql/’aql (transmission des données par témoins directs/connaissance obtenue par la raison discursive). Il s’agit là de clivages de nature anthropologique entre ceux qui, accédant à l’écriture, acceptaient les récits hagiographiques, les représentations surnaturelles,… et ceux qui couplaient la pratique d’une « science certaine » établie par la raison au contrôle de l’orthodoxie religieuse. Mais durant les premiers siècles, les séparations entre ces démarches n’étaient pas étanches. Au moment où écrit Shâfi’î, on est au stade où les traditions transmises par oral font l’objet d’un inventaire . L’on cherche, par des analyses rationalisantes à établir des preuves, dans les domaines de la théologie et du droit. Dans sont ikhtilaf al hadith, Shâfi’î écrit : « Le ‘ilm est de deux sortes : celui qui consiste à suivre et celui qui consiste à déduire (ittibâ/istinbât) ». Quant au premier, il suit le Coran, la Sunna, les enseignements des Anciens contre lesquels personne ne s’est élevé, et en l’absence de texte le qiyâs (analogie). Est enfin cité l’ijtihâd (effort d'interprétation personnelle), si le qiyâs aboutit à des positions divergentes.
Ainsi se dégagent des caractéristiques du concept de raison chez Shâfi’î, qui prédomineront jusqu’à nos jours dans une part très importante de la littérature.
Pour le croyant, l’homologation de l’Autorité de la Sunna par celle du Coran résulte de l’injonction divine elle-même. Les versets cités à l’appui de cette affirmation par Shâfi’ï sont jugés clairs (bayân), et ne donnent pas lieu à exégèse. Ce qui fait que le discours coranique n’est pas envisagé dans sa complexité linguistique, littéraire, historique, sémiotique … Le rôle de la métaphore est réduit, celle-ci illustrant au mieux la thèse de l’inimitabilité du Coran, voire même gommé totalement. Travaillant le concept d’Autorité, Shâfi’î étend ce concept à la Sunna du Prophète, en abaissant la transcendance divine jusqu’à l’immanence politique et sociale dans laquelle s’exerçait l’action du Prophète, et en élevant ce dernier au dessus des situations concrètes qu’il a eues à traiter. La stratégie politique de Muhammad étant coupée du contexte historique, celui-ci devient ainsi une Figure trans-historique de l’Autorité. Plus largement, l’homme devenant le « compagnon des prophètes », c’est toute l’histoire humaine qui se trouve transcendantalisée.
Shâfi’î, après avoir rappelé que « il n’est pas loisible au dirigeant d’accepter, ni au gouverneur de tolérer (que quelqu’un donne une appréciation personnelle) » énumère les qualités que doit posséder le jurisconsulte pour que son avis soit valide : il doit connaître la science du Livre, de l’abrogeant et de l’abrogé, de ses énoncés portant sur des cas particuliers, de ses énoncés portant sur des cas généraux, connaître la science de la tradition du Prophète, celle de la langue arabe, être capable de discerner les textes ambigus et de manier le qiyâs. Ainsi, en toutes circonstances, indépendamment du contexte historique, le souci de Shâfi’î est d’assurer la prééminence du Jugement de Dieu, déduit des Textes par la raison guidée. Ce souci ira jusqu’à appliquer une même qualification légale par la recherche de la ‘illa (cause) entre un cas de base et un cas dérivé, toute situation nouvelle devant obligatoirement avoir une racine ontologique puisée dans les Textes.
Comme dans toutes les grandes traditions religieuses (islam sunnite ou chiite, catholicisme, judaïsme), l’objectif est d’assurer, face aux pouvoirs déviants, une Autorité absolue. Dans le monde islamique, les juristes ont joué un rôle double : ils ont forcé toutes les singularités à s’intégrer au cadre orthodoxe ou à disparaître, faisant la chasse à l’innovation. Ils ont sans doute aussi réduit l’anomie de sociétés vouées à la dispersion en constituant des secteurs de rationalité explicités, alors que prédominaient des croyances naïves.
Cependant, l’intervention des jurisconsultes n’a pas empêché le développement d’un droit positif, et les usul ad dîn (fondements de la religion) n’ont pas empêché à l’âge classique l’épanouissement d’une raison scientifique.
Un événement-avènement – la descente de la Révélation – partage l’histoire profane et l’Histoire du Salut en un avant et un après (avant ou après JC, avant ou après Muhammad…). A partir de là est présentée par la raison une cohérence, où le ‘ilm est entendu à la fois comme connaissance au sens de adhésion du cœur à des vérités éternelles et comme savoirs normatifs certains sur divers domaines de la réalité.
La cohérence discursive introduite par Shâfî’i, qui n’existe pas dans le Coran, est une composante essentielle de la RIC. La ‘aql – raison intelligence -, an nafs (l’âme charnelle) et le qalb (coeur) pris ensemble sont en capacité de reproduire le ‘ilm tel qu’exprimé dans les dix propositions présentées ci-dessus. Il y a là imbrication de ce que nous appelons aujourd’hui raison, imagination, imaginaire et mémoire, de sorte que l’on ne peut faire la part du rationnel et de l’irrationnel, de la connaissance mythique et de la connaissance historique, …Or, bien des histoires « modernes » de la pensée religieuse présentent les propositions de la croyance dans une rationalité globale qui permet aux croyants de ne pas s’interroger sur le statut cognitif des « savoirs » attachés à leurs croyances.
C’est déjà ce que fait Shafî’i, qui poursuit en opérant une réduction : les voies du Salut étant clairement exposées dans le Livre, la première tâche de la raison sera de lire correctement tout le Livre, et non plus de l’entendre par la voie réceptive du cœur. La raison discursive et « graphique » a ainsi opéré une mutation fondamentale dans les conditions de production, réception et transmission du sens. Aujourd’hui encore, la Parole est reçue par tous les croyants dans les célébrations liturgiques, tandis que seules les élites savants ont accès au discours rationalisant.
La lecture du Coran impose la connaissance de la langue Arabe. Shâfî’i répond dans la Risâla aux critiques des non-Arabes, qui font observer l’existence de mots d’origine étrangère dans le Texte. Quant à ceux-ci ils « ont peut-être voulu dire que le Coran comporte des termes partiellement ignorés de certains Arabes ». Et d’ailleurs « Si l’on me demande quelle preuve y a-t-il que le Livre de Dieu est en langue arabe sans qu’aucune autre y soit mêlée ? Je répondrai : la preuve est dans le Livre de Dieu où il est dit : « Nous n’avons envoyé aucun messager qui ne s’exprimât dans la langue de son peuple » (Coran (4 ,4). » » . La langue arabe étant la langue de la Révélation, il incombe à tout musulman de déployer tous ses efforts jusqu’à réciter le Livre de Dieu. Shâfî’i précise même qu’il a souligné le fait que le Coran a été révélé en langue arabe pour trois raisons : la nécessité d’éclairer compréhension globale de la science du Livre en relation à l’extension de l'Arabe ; donner le bon conseil aux musulmans est une obligation (fard) ; faire éclater la vérité (haqq) et l’appliquer, comme cela est exigé par Dieu.
Il existe ainsi un lien linguistique premier entre la Vérité révélée (al haqq), les vérités-droits (huqûq) et leur expression dans le Coran. Ce lien a été étudié par les sciences du Kalâm et en linguistique dès le 2ème/7ème siècle. Mais Shâfî’i n’utilise pas les argumentations de ces deux disciplines (il a quitté l’Irak pour l’Egypte et ne sera pas directement confronté à la doctrine mutazilite du Coran créé).
En définitive, pour renforcer les convictions du plus grand nombre, l’argument d’autorité, par l’usage de citations de versets et de hadith est suffisant. Ce mode simple d’articulation des vérités fonctionne jusqu’à nos jours. Le discours juridique a joué pour cela un rôle majeur, car le fiqh s’est imposé comme la science par excellence des 7ème au 13ème / 14ème au19ème siècles, période de la reproduction scolastique. Dans chaque Etat-Nation ou chaque Empire, l’éducation religieuse comprenait la formation à une seule école de droit, développant chez l’enfant et l’adolescent des connaissances réflexes.
Ainsi, la RIC doit ses premières limitations théoriques aux Imâms fondateurs d’écoles. L’étude des relations entre vérité, droit et histoire dans la Risâla permettra de préciser ces premières conclusions.
- Vérité, droit et histoire
Shâfî’i déduit la norme juridique de la Vérité (al haqq) du Texte et de la pratique du Prophète. Les seuls éléments historiques considérés sont relatifs à la chaîne de transmission des ahadith et aux normes et coutumes existant dans le contexte dans lequel le juriste est amené à se prononcer. Ainsi est mise en place une stratégie d’annulation de l’historicité par la normativité, présentée comme divine, alors que dans la science historique contemporaine, on parlerait de sacralisation des Textes par les postulats et attitudes propres à la raison théologico-politique et juridique du Moyen-âge (pour les trois monotéhismes). J. Schacht et des auteurs postérieurs ont montré comment Shâfî’i en déduisant les normes exclusivement des Textes sans les mettre en relation aux besoins initiaux ou immédiats a voulu disqualifier les raisonnements personnels (ra’y, istihsân). Dans ces conditions quel est dans la pensée de Shâfî’i la relation entre droit et histoire ?
L’histoire humaine importe peu, puisqu’elle est trouble avant la Révélation et qu’après, elle doit être purifiée et orientée par les commandements et interdits envoyés par Dieu par l’intermédiaire du Prophète. Le rapport entre Vérité et histoire est à sens unique : le Coran est une descente de la Parole de Dieu vers l’histoire, et ne doit rien à celle-ci, qui au contraire, est inscrite dans un temps eschatologique, les conduites dans la dounia (vie terrestre) ne prenant leur sens que dans la akhira (la vie dans l'au-delà).
On reconnaît à Shâfî’i le mérite d’avoir imposé le hadith comme le deuxième fondement non seulement du droit, mais de l’islam en tant que système de croyances. Jusque-là les traditions remontant aux Compagnons et aux Suivants avaient tendance à l’emporter sur celles qui parvenaient du Prophète. Et lorsque deux traditions se contredisaient, on les rejetait toutes deux pour se livrer à l’exercice du ra’y. De même pour le consensus, on privilégiait celui des autorités locales. Shâfî’i réagit contre ces tendances dans son Traité des divergences du hadith et dans sa Risâla, à une époque où se renforçaient des traditions locales avec la coexistence de trois écoles (Médine avec Mâlik, l’Irak avec Abû Hanifa et la Syrie avec Awzä’î. L’enjeu de la discussion est l’Autorité en tant qu’instance de légitimation du pouvoir politique central, dont le pouvoir judiciaire procède par délégation. On le voit à travers l’insistance de Shâfi’î pour démonter que l’Autorité ne s’attache qu’à la tradition prophétique, en citant tous les versets qui font obligation aux croyants d’obéir au Prophète (24, 62 ; 2, 129 ; 2, 151 ; 3, 164 ; 42, 2 ; 2, 231 ; 4, 113 ; 33, 34, cités dans la Risâla de la page 72 à la page 77).
Que le Coran ait insisté pour lier l’Autorité de l’Envoyé à celle du Livre, que Shâfi’î lui-même prenne soin de citer un ensemble de versets disant sensiblement la même chose, tout ceci traduit l’existence de réticences fortes de la part des destinataires du message, ce que ne retient pas l’auteur de la Risâla qui conclut : « Il n’est dès lors pas permis – mais Dieu sait plus – d’identifier la Sagesse à d’autre chose qu’à la Sunna de l’envoyé de Dieu. En effet, la Sagesse est jointe au Livre de Dieu et Dieu a fait de l’obéissance à son Envoyé une obligation … » (p. 77).
Shâf’î complète cette « démonstration avec d’autres versets qui soit associent obligation d’obéir à Dieu et obligation d’obéir à l’Envoyé qui soit mentionnent uniquement celle d’obéir au Prophète (33, 36 : 4, 62 ; 4, 71 ; 48, 10 ; 4, 65 ; 24, 48-51).
Quant à l’obéissance à l’Envoyé, elle renvoie au fait que « Dieu a clairement précisé à ses créatures l’obligation de se conformer à ce qui lui a été révélé, aux Commandements et à la Direction attestés par Dieu comme ceux que l’Envoyé a effectivement suivis », ce propos étant appuyé également par plusieurs versets (4, 106 ; 45, 18) (pp. 84-85).
La question est de savoir les conséquences de cette « démonstration » sur le contenu et le fonctionnement de la raison en contexte islamique et sur le rapport Vérité-histoire.
Une clarification épistémologique s’impose quant à la distinction raison/raisons. ‘aql est utilisé en Arabe de deux façons : en tant que nom verbal de ‘aqala, pour désigner un effort d’explicitation, et en tant que substantif pour référer au maq’ûl, ce qui est rendu intelligible et possède la ‘illa (raison d’être). Au 3ème/9ème siècle, sous l’influence de la philosophie grecque, la raison s’approprie des outils techniques, tout en étant pénétrée de la vision islamique de la vérité. Se constituent alors les oppositions hifz/’ilm-sinâ’a (ensemble de données mémorisées/connaissances acquises à l’aide de la raison) et riwâya/dirâya et sam’-naql/’aql (transmission des données par témoins directs/connaissance obtenue par la raison discursive). Il s’agit là de clivages de nature anthropologique entre ceux qui, accédant à l’écriture, acceptaient les récits hagiographiques, les représentations surnaturelles,… et ceux qui couplaient la pratique d’une « science certaine » établie par la raison au contrôle de l’orthodoxie religieuse. Mais durant les premiers siècles, les séparations entre ces démarches n’étaient pas étanches. Au moment où écrit Shâfi’î, on est au stade où les traditions transmises par oral font l’objet d’un inventaire . L’on cherche, par des analyses rationalisantes à établir des preuves, dans les domaines de la théologie et du droit. Dans sont ikhtilaf al hadith, Shâfi’î écrit : « Le ‘ilm est de deux sortes : celui qui consiste à suivre et celui qui consiste à déduire (ittibâ/istinbât) ». Quant au premier, il suit le Coran, la Sunna, les enseignements des Anciens contre lesquels personne ne s’est élevé, et en l’absence de texte le qiyâs (analogie). Est enfin cité l’ijtihâd (effort d'interprétation personnelle), si le qiyâs aboutit à des positions divergentes.
Ainsi se dégagent des caractéristiques du concept de raison chez Shâfi’î, qui prédomineront jusqu’à nos jours dans une part très importante de la littérature.
Pour le croyant, l’homologation de l’Autorité de la Sunna par celle du Coran résulte de l’injonction divine elle-même. Les versets cités à l’appui de cette affirmation par Shâfi’ï sont jugés clairs (bayân), et ne donnent pas lieu à exégèse. Ce qui fait que le discours coranique n’est pas envisagé dans sa complexité linguistique, littéraire, historique, sémiotique … Le rôle de la métaphore est réduit, celle-ci illustrant au mieux la thèse de l’inimitabilité du Coran, voire même gommé totalement. Travaillant le concept d’Autorité, Shâfi’î étend ce concept à la Sunna du Prophète, en abaissant la transcendance divine jusqu’à l’immanence politique et sociale dans laquelle s’exerçait l’action du Prophète, et en élevant ce dernier au dessus des situations concrètes qu’il a eues à traiter. La stratégie politique de Muhammad étant coupée du contexte historique, celui-ci devient ainsi une Figure trans-historique de l’Autorité. Plus largement, l’homme devenant le « compagnon des prophètes », c’est toute l’histoire humaine qui se trouve transcendantalisée.
Shâfi’î, après avoir rappelé que « il n’est pas loisible au dirigeant d’accepter, ni au gouverneur de tolérer (que quelqu’un donne une appréciation personnelle) » énumère les qualités que doit posséder le jurisconsulte pour que son avis soit valide : il doit connaître la science du Livre, de l’abrogeant et de l’abrogé, de ses énoncés portant sur des cas particuliers, de ses énoncés portant sur des cas généraux, connaître la science de la tradition du Prophète, celle de la langue arabe, être capable de discerner les textes ambigus et de manier le qiyâs. Ainsi, en toutes circonstances, indépendamment du contexte historique, le souci de Shâfi’î est d’assurer la prééminence du Jugement de Dieu, déduit des Textes par la raison guidée. Ce souci ira jusqu’à appliquer une même qualification légale par la recherche de la ‘illa (cause) entre un cas de base et un cas dérivé, toute situation nouvelle devant obligatoirement avoir une racine ontologique puisée dans les Textes.
Comme dans toutes les grandes traditions religieuses (islam sunnite ou chiite, catholicisme, judaïsme), l’objectif est d’assurer, face aux pouvoirs déviants, une Autorité absolue. Dans le monde islamique, les juristes ont joué un rôle double : ils ont forcé toutes les singularités à s’intégrer au cadre orthodoxe ou à disparaître, faisant la chasse à l’innovation. Ils ont sans doute aussi réduit l’anomie de sociétés vouées à la dispersion en constituant des secteurs de rationalité explicités, alors que prédominaient des croyances naïves.
Cependant, l’intervention des jurisconsultes n’a pas empêché le développement d’un droit positif, et les usul ad dîn (fondements de la religion) n’ont pas empêché à l’âge classique l’épanouissement d’une raison scientifique.
Il faut donc, pour mieux cerner la RIC, clarifier encore quelques questions :
Sur quelles disciplines au delà des usul al fihq (science des fondements du droit) la RIC s’est-elle appuyée pour s’imposer devant les raisons concurrentes ? Ces raisons concurrentes expriment-elles des épistémés différentes, ou s’agit-il ‘une même raison se développant dans des contextes ethno-culturels différents ? Comment expliquer le triomphe d’une RI orthodoxe durant les cinq premiers siècles de l’hégire ? A–t-elle régné sans partage dans tous les secteurs jusqu’à nos jours ?
Sur quelles disciplines au delà des usul al fihq (science des fondements du droit) la RIC s’est-elle appuyée pour s’imposer devant les raisons concurrentes ? Ces raisons concurrentes expriment-elles des épistémés différentes, ou s’agit-il ‘une même raison se développant dans des contextes ethno-culturels différents ? Comment expliquer le triomphe d’une RI orthodoxe durant les cinq premiers siècles de l’hégire ? A–t-elle régné sans partage dans tous les secteurs jusqu’à nos jours ?
Discours historiographique et discours théologique
Le discours est ici défini comme « toute articulation d’un sens en fonction : a) des contraintes particulières d’un état et d’un niveau de langue ; b) de la pression de sélection des éléments de connaissance que tout locuteur-auteur en tant que membre d’un groupe engagé dans une histoire manifeste dans son intervention discursive ; c) des élans, des intuitions, des protestations, des créations du sujet engagé dans une expérience existentielle singulière. »
Cette définition a été retenue pour dégager, au sein du discours historiographique et théologique en islam la convergence avec la stratégie de raison et le mode de production de sens identifiés dans la Risâla de Shâfi’î.
La Sîra :
On étudiera pour commencer le discours de la Sîra (biographie du Prophète de l'islam) tel que formulé par Ibn Ishâq [15] (85-151/704-767). Ibn Ishâq insiste sur des anecdotes, rapporte les miracles, les actions d’éclat, des situations dramatiques et finalement construit une « Figure symbolique idéale » destinée plutôt à dynamiser l’imaginaire collectif qu’à reconstituer la biographie d’un homme, souvent appelé Rasûl Allah (Envoyé de Dieu), alors que le Coran insistait sur sa dimension humaine.
Cette définition a été retenue pour dégager, au sein du discours historiographique et théologique en islam la convergence avec la stratégie de raison et le mode de production de sens identifiés dans la Risâla de Shâfi’î.
La Sîra :
On étudiera pour commencer le discours de la Sîra (biographie du Prophète de l'islam) tel que formulé par Ibn Ishâq [15] (85-151/704-767). Ibn Ishâq insiste sur des anecdotes, rapporte les miracles, les actions d’éclat, des situations dramatiques et finalement construit une « Figure symbolique idéale » destinée plutôt à dynamiser l’imaginaire collectif qu’à reconstituer la biographie d’un homme, souvent appelé Rasûl Allah (Envoyé de Dieu), alors que le Coran insistait sur sa dimension humaine.
Si l’on emploie les outils de la sémiotique [16], on peut montrer que le récit reproduit des procédés tels que la manipulation (opération de persuasion), la compétence (faire-être), les performances (transformation des états), la sanction (opération interprétative).
Dans l’édition de Hamidullah, le texte est subdivisé en 520 unités narratives, d’inégales longueurs, mais présentées dans le cadre formel isnâd (chaîne de transmission)+matn (corps du récit). Chaque unité est construite selon les mêmes schémas sémiotiques.
Les historiens qui ont étudié l’œuvre d’Ibn Ishaq ont tous reconnu son honnêteté, mais ont souligné la transfiguration que le récit fait subir en particulier à l’acteur central du récit [17]. Ils ont pu dégager la façon dont l’imaginaire islamique commun s’est construit dans une société en expansion à travers les efforts d’insertion des mémoires collectives diverses marginalisant la tradition tribale arabe. De sorte que les situations paradigmatiques, susceptibles de nourrir en tout lieu et tout temps la sagesse à en tirer, l’ont emporté sur la connaissance proprement historique. En même temps, pour les ulama (savants), constructeurs puis gardiens de l’orthodoxie, l’enjeu était d’assurer les bases d’un pouvoir légitimé par l’autorité spirituelle découlant du donné-révélé.
Le discours sur l’histoire dans l’aire marquée par les religions révélées a été de type narratif, loin des méthodes de l’histoire positive et critique. Shâfi’î a partagé l’espace entre terre d’islam et terre d’infidélité, et le temps en un avant et un après. Tabari commente le Coran en appliquant la méthode tirée de la Sîrâ. Miskawayh et Ibn Khaldun ont tenté d’introduire une rationalité normative, mais n’ont pu briser la structure cognitive liée à une pratique normative de la langue, du droit, de l’historiographie et de la théologie. Quant au discours théologique, il se déploie dans les limites cognitives fixées par les transmetteurs du Coran et du Hadîth. Les arguments d’autorité (citation de versets ou ahadith) sont toujours utilisés avant les procédés logiques ou rhétoriques. Ainsi la RI (comme la Raison juive ou chrétienne) par ces facilités, s’est éloignée de la raison critique.
Une première manipulation s’est opérée lors du passage du régime oral au régime écrit. Le passage de la raison caractérisant la tradition orale (usage de procédés narratifs, assise populaire) à ce que J. Goody a appelé la « raison graphique » – étatique, cléricale et bourgeoise – est à mettre en relation avec les besoins administratifs et idéologiques de l’Etat abbasside, ainsi qu’avec les transformations profondes de la société. Cependant on verra que la RI continue à rester en osmose avec les cultures orales populaires.
Une deuxième manipulation a consisté à postuler une homogénéité sémantique et une continuité structurelle entre l’espace-temps initial du propos normatif et les espace-temps variés où ce propos est cité, cela ayant été facilité par le fait que le langage du Texte est de structure mythique [18].
Se pose ici la question de la légitimité et des conséquences possibles de l’intervention de l’analyste : toutes les traditions vivantes reposent sur une organisation et une pratique (au sens entendu par Bourdieu) de la conscience mythique. La mise à distance critique d’une telle conscience ne peut être réalisée que par une conscience qui sépare ce qui était vécu comme intimement relié (mythe et histoire, foi et connaissance expérimentale, etc.. Aussi la raison critique elle-même peut se révéler manipulatrice par un découpage réductionniste de son objet d’études. Il y a ici confrontation entre deux stratégies de la raison qui engendrent des structures cognitives irréductibles, au niveau de la pratique comme au niveau des « habitus » (dispositions psychologiques et corporelles). ..). Les débats entre « Islam et Occident » depuis l’ère coloniale repose sur le refus de la raison moderne de remettre en cause ses certitudes [19]. On commence à peine à s’éloigner des couples foi/raison, tradition/modernité, connaissance spirituelle/connaissance positive… et à explorer l’errance comme possibilité de dépassement des fausses connaissances. Mais avant d’aborder la question de savoir s’il est possible de dépasser les limites de la raison critique, il convient de situer la RIC par rapport aux raisons concurrentes en contexte islamique.
Les raisons concurrentes
Al Asharî
La question de la nature du ‘aql a été disputée entre les nombreuses écoles de pensée en islam. Louis Massignon a établi un tableau descriptif des douze principales définitions que l’on peut identifier. L’éparpillement des opinions laisse supposer un climat d’effervescence spéculative au tournant du 4ème/10ème siècle. Dans ses Maqâlat al islâmiyîn, al Acharî identifie une division des musulmans en dix groupes [20]. Des historiens comme Laoust dans Les schismes dans l’islam ont repris ces nomenclatures et les doctrines sont présentées dans une chronologie précise, ne dégagent finalement que des oppositions de surface et dissimulant les traits profonds d’un même « espace mental ». Or il semble plus intéressant de dégager la visée cognitive des différents usages (idéologiques, subjectifs, dialectiques,…) manifestés dans les textes-sources qui servent aujourd’hui de référence. L’oeuvre d’Al Asharî se prête à l’identification de ces différents usages, car ses trois ouvrages principaux illustrent de façon claire : – une conception de l’ikhtilâf (divergence) ; – un fonctionnement de ce qui va devenir après lui la RI orthodoxe, avec quelques variantes. ; – les enjeux immédiats et de long terme de la raison en islam.
Il est à noter que, par son titre même, le premier grand ouvrage d’al Ash’arî Les opinions de ceux qui professent l’islam et les divergences de ceux qui pratiquant la prière témoigne de la constitution à la fin du 3ème siècle de l’hégire d’un « espace mental islamique », caractérisé par la pratique de la prière et la profession de foi. Cette dernière correspond aux dix propositions relevées chez Shâfi’î.
Dans l’édition de Hamidullah, le texte est subdivisé en 520 unités narratives, d’inégales longueurs, mais présentées dans le cadre formel isnâd (chaîne de transmission)+matn (corps du récit). Chaque unité est construite selon les mêmes schémas sémiotiques.
Les historiens qui ont étudié l’œuvre d’Ibn Ishaq ont tous reconnu son honnêteté, mais ont souligné la transfiguration que le récit fait subir en particulier à l’acteur central du récit [17]. Ils ont pu dégager la façon dont l’imaginaire islamique commun s’est construit dans une société en expansion à travers les efforts d’insertion des mémoires collectives diverses marginalisant la tradition tribale arabe. De sorte que les situations paradigmatiques, susceptibles de nourrir en tout lieu et tout temps la sagesse à en tirer, l’ont emporté sur la connaissance proprement historique. En même temps, pour les ulama (savants), constructeurs puis gardiens de l’orthodoxie, l’enjeu était d’assurer les bases d’un pouvoir légitimé par l’autorité spirituelle découlant du donné-révélé.
Le discours sur l’histoire dans l’aire marquée par les religions révélées a été de type narratif, loin des méthodes de l’histoire positive et critique. Shâfi’î a partagé l’espace entre terre d’islam et terre d’infidélité, et le temps en un avant et un après. Tabari commente le Coran en appliquant la méthode tirée de la Sîrâ. Miskawayh et Ibn Khaldun ont tenté d’introduire une rationalité normative, mais n’ont pu briser la structure cognitive liée à une pratique normative de la langue, du droit, de l’historiographie et de la théologie. Quant au discours théologique, il se déploie dans les limites cognitives fixées par les transmetteurs du Coran et du Hadîth. Les arguments d’autorité (citation de versets ou ahadith) sont toujours utilisés avant les procédés logiques ou rhétoriques. Ainsi la RI (comme la Raison juive ou chrétienne) par ces facilités, s’est éloignée de la raison critique.
Une première manipulation s’est opérée lors du passage du régime oral au régime écrit. Le passage de la raison caractérisant la tradition orale (usage de procédés narratifs, assise populaire) à ce que J. Goody a appelé la « raison graphique » – étatique, cléricale et bourgeoise – est à mettre en relation avec les besoins administratifs et idéologiques de l’Etat abbasside, ainsi qu’avec les transformations profondes de la société. Cependant on verra que la RI continue à rester en osmose avec les cultures orales populaires.
Une deuxième manipulation a consisté à postuler une homogénéité sémantique et une continuité structurelle entre l’espace-temps initial du propos normatif et les espace-temps variés où ce propos est cité, cela ayant été facilité par le fait que le langage du Texte est de structure mythique [18].
Se pose ici la question de la légitimité et des conséquences possibles de l’intervention de l’analyste : toutes les traditions vivantes reposent sur une organisation et une pratique (au sens entendu par Bourdieu) de la conscience mythique. La mise à distance critique d’une telle conscience ne peut être réalisée que par une conscience qui sépare ce qui était vécu comme intimement relié (mythe et histoire, foi et connaissance expérimentale, etc.. Aussi la raison critique elle-même peut se révéler manipulatrice par un découpage réductionniste de son objet d’études. Il y a ici confrontation entre deux stratégies de la raison qui engendrent des structures cognitives irréductibles, au niveau de la pratique comme au niveau des « habitus » (dispositions psychologiques et corporelles). ..). Les débats entre « Islam et Occident » depuis l’ère coloniale repose sur le refus de la raison moderne de remettre en cause ses certitudes [19]. On commence à peine à s’éloigner des couples foi/raison, tradition/modernité, connaissance spirituelle/connaissance positive… et à explorer l’errance comme possibilité de dépassement des fausses connaissances. Mais avant d’aborder la question de savoir s’il est possible de dépasser les limites de la raison critique, il convient de situer la RIC par rapport aux raisons concurrentes en contexte islamique.
Les raisons concurrentes
Al Asharî
La question de la nature du ‘aql a été disputée entre les nombreuses écoles de pensée en islam. Louis Massignon a établi un tableau descriptif des douze principales définitions que l’on peut identifier. L’éparpillement des opinions laisse supposer un climat d’effervescence spéculative au tournant du 4ème/10ème siècle. Dans ses Maqâlat al islâmiyîn, al Acharî identifie une division des musulmans en dix groupes [20]. Des historiens comme Laoust dans Les schismes dans l’islam ont repris ces nomenclatures et les doctrines sont présentées dans une chronologie précise, ne dégagent finalement que des oppositions de surface et dissimulant les traits profonds d’un même « espace mental ». Or il semble plus intéressant de dégager la visée cognitive des différents usages (idéologiques, subjectifs, dialectiques,…) manifestés dans les textes-sources qui servent aujourd’hui de référence. L’oeuvre d’Al Asharî se prête à l’identification de ces différents usages, car ses trois ouvrages principaux illustrent de façon claire : – une conception de l’ikhtilâf (divergence) ; – un fonctionnement de ce qui va devenir après lui la RI orthodoxe, avec quelques variantes. ; – les enjeux immédiats et de long terme de la raison en islam.
Il est à noter que, par son titre même, le premier grand ouvrage d’al Ash’arî Les opinions de ceux qui professent l’islam et les divergences de ceux qui pratiquant la prière témoigne de la constitution à la fin du 3ème siècle de l’hégire d’un « espace mental islamique », caractérisé par la pratique de la prière et la profession de foi. Cette dernière correspond aux dix propositions relevées chez Shâfi’î.
Statut de l’ikhtilaf (divergence) chez al Asharî
Dans ses Maqâlat al islâmiyin, al Ash’arî se propose de réfuter les mutazilites dont il vient de se séparer pour rejoindre les ahl as sunna wal jamâ’a (gens de la Sunna). On y retrouve des thèmes communs aux théologiens et philosophes, que Louis Massignon a tenté de rassembler dans un tableau de concordance [21].
On observe que :
les thèmes de recherche se situent dans un espace mental commun à toute la pensée de tradition gréco-monothéiste. Ils se répartissent en fonction des disciplines de la Grêce classique (ontologie, théologie, logique, éthique, etc..). Le poids donné aux disciplines variera en fonction des milieux et des époques, soit que s’accentue le regard de l’esprit (Dieu vivant, créateur,…) soit que domine l’usage des outils de la raison (logique déductive, démonstrative,…). Des facteurs sociaux et politiques interviennent dans la dominance de telle ou telle approche. C’est ainsi qu’au mutazilisme a succédé le hanbalisme. Il est important de relever l’historicité radicale des modalités d’exercice de la raison (en islam comme ailleurs). Le tableau permet d’identifier des lieux qui sont rejetés dans l’impensable. Cet aspect est rarement pris en compte par les historiens de la raison. Or, la stratégie d’annulation de l’historicité, comme l’exégèse littéraliste ou la raison juridique procédurale ont été autant de moyens d’ontologiser des « vérités »,, « normes » et « valeurs » présentées comme « divines ». Al Ash’arî a eu le mérite de dépasser des solutions présentées comme opposées par le kalâm et la falsâfa (Coran créé/incréé, libre-arbitre ou déterminisme,…). Mais ni lui ni ses continuateurs n’ont mesuré l’apport de leurs adversaires (les « raisons concurrentes ») à leur propre créativité. Pourtant, c’est surtout en Iran, Irak et Syrie que cet apport fut le plus vigoureux. L’Occident, où s’était imposé le malékisme fut moins touché par les polémiques. Le tableau montre que plusieurs écoles peuvent adopter la même solution, et que les frontières ne sont ni nettes, ni définitives. L’historien doit alors reconstituer par l’analyse la dialectique initiale et aussi montrer le censuré, l’oublié, car, comme l’a montré J. Van Ess dans sa Theologie und Gessellschaft, la dialectique socioculturelle a permis l’émergence de « penseurs libres », comme Ibn al Râwandi. Il existe un hadîth selon lequel l’ikhtilâf est une « miséricorde pour la communauté ». Les thèmes de la prophétie, de l’imâm, de l’âme, de la résurrection, retrouvés dans toutes les écoles, appartiennent à l’imaginaire et le rapport imaginaire/raison, différent dans chaque courant, construit le sujet humain. Dire que la Parole de Dieu est créée dans les mots par lesquels elle nous parvient ou soutenir l’inverse, dire que seule l’âme spirituelle survivra ou la personne physique,…, toutes les divergences sont autant d’enrichissements de la pensée, avant qu’elle ne se fige en systèmes clos. Les anathèmes, guerres, séparations, sont le fruit d’une lutte pour la dominance de certains groupes sur les autres. Tous les groupes ont en commun le Texte, les rites, les croyances qui les identifient comme musulmans. Au 4ème siècle de l’Hégire, un consensus est réalisé sur le corpus coranique et, par le travail de Bukhari et Muslim, sur le corpus des traditions prophétiques (Kulayni ayant effectué un travail similaire pour le shî’isme). Si au niveau idéel, la RI utilise les mêmes outils de transmission et d’interprétation des Textes, elle produit des significations différentes adaptées aux intérêts immédiats de chaque groupe pour sa survie. Les figures de la dominance alors en compétition sont d’une part les systèmes de parenté des sociétés tribales, et d’autre part l’Etat-cité qui impose des hiérarchies (musulmans /non musulmans, libres/esclaves, hommes/femmes…) ou l’Etat-Umma utopique qui cherche à transgresser toutes les frontières (parentales, sociales, ethniques,..) mais sans disposer des outils conceptuels et des cadres culturels adéquats.
On observe que :
les thèmes de recherche se situent dans un espace mental commun à toute la pensée de tradition gréco-monothéiste. Ils se répartissent en fonction des disciplines de la Grêce classique (ontologie, théologie, logique, éthique, etc..). Le poids donné aux disciplines variera en fonction des milieux et des époques, soit que s’accentue le regard de l’esprit (Dieu vivant, créateur,…) soit que domine l’usage des outils de la raison (logique déductive, démonstrative,…). Des facteurs sociaux et politiques interviennent dans la dominance de telle ou telle approche. C’est ainsi qu’au mutazilisme a succédé le hanbalisme. Il est important de relever l’historicité radicale des modalités d’exercice de la raison (en islam comme ailleurs). Le tableau permet d’identifier des lieux qui sont rejetés dans l’impensable. Cet aspect est rarement pris en compte par les historiens de la raison. Or, la stratégie d’annulation de l’historicité, comme l’exégèse littéraliste ou la raison juridique procédurale ont été autant de moyens d’ontologiser des « vérités »,, « normes » et « valeurs » présentées comme « divines ». Al Ash’arî a eu le mérite de dépasser des solutions présentées comme opposées par le kalâm et la falsâfa (Coran créé/incréé, libre-arbitre ou déterminisme,…). Mais ni lui ni ses continuateurs n’ont mesuré l’apport de leurs adversaires (les « raisons concurrentes ») à leur propre créativité. Pourtant, c’est surtout en Iran, Irak et Syrie que cet apport fut le plus vigoureux. L’Occident, où s’était imposé le malékisme fut moins touché par les polémiques. Le tableau montre que plusieurs écoles peuvent adopter la même solution, et que les frontières ne sont ni nettes, ni définitives. L’historien doit alors reconstituer par l’analyse la dialectique initiale et aussi montrer le censuré, l’oublié, car, comme l’a montré J. Van Ess dans sa Theologie und Gessellschaft, la dialectique socioculturelle a permis l’émergence de « penseurs libres », comme Ibn al Râwandi. Il existe un hadîth selon lequel l’ikhtilâf est une « miséricorde pour la communauté ». Les thèmes de la prophétie, de l’imâm, de l’âme, de la résurrection, retrouvés dans toutes les écoles, appartiennent à l’imaginaire et le rapport imaginaire/raison, différent dans chaque courant, construit le sujet humain. Dire que la Parole de Dieu est créée dans les mots par lesquels elle nous parvient ou soutenir l’inverse, dire que seule l’âme spirituelle survivra ou la personne physique,…, toutes les divergences sont autant d’enrichissements de la pensée, avant qu’elle ne se fige en systèmes clos. Les anathèmes, guerres, séparations, sont le fruit d’une lutte pour la dominance de certains groupes sur les autres. Tous les groupes ont en commun le Texte, les rites, les croyances qui les identifient comme musulmans. Au 4ème siècle de l’Hégire, un consensus est réalisé sur le corpus coranique et, par le travail de Bukhari et Muslim, sur le corpus des traditions prophétiques (Kulayni ayant effectué un travail similaire pour le shî’isme). Si au niveau idéel, la RI utilise les mêmes outils de transmission et d’interprétation des Textes, elle produit des significations différentes adaptées aux intérêts immédiats de chaque groupe pour sa survie. Les figures de la dominance alors en compétition sont d’une part les systèmes de parenté des sociétés tribales, et d’autre part l’Etat-cité qui impose des hiérarchies (musulmans /non musulmans, libres/esclaves, hommes/femmes…) ou l’Etat-Umma utopique qui cherche à transgresser toutes les frontières (parentales, sociales, ethniques,..) mais sans disposer des outils conceptuels et des cadres culturels adéquats.
La conversion d’Al Asharî et la raison orthodoxe
Progressivement s’impose la Raison orthodoxe, qui se présente comme celle qui explicite adéquatement tous les enseignements de la 'aqida (le dogme) et des Textes. Elle dénie la possibilité à toute autre raison la possibilité d’atteindre la même validité que la sienne, elle ne reconnaît pas la faiblesse théorique et cognitive de ses propres constructions. L’illustre un rêve fait par Al Asharî rapporté par Ibn Asakir (m.571 H), défenseur de la version asharite du sunnisme. Au début du mois de ramadan, Al Asharî aurait eu un rêve au cours duquel le Prophète lui serait apparu, qui l’interroge sur le fait qu’il ne professe pas la doctrine. Al Asharî lui explique : « ce sont des arguments intellectuels qui m’en ont empêché », et précise que les arguments rationnels lui apparaissent douteux. Le Prophète insiste : «ce ne sont pas des arguments douteux mais des preuves ». Au lendemain du rêve, Al Asharî, s’étant livré à la méditation, voit se renforcer les arguments rationnels en faveur de la vision de Dieu (« qui se renforcèrent dans mon cœur »). C’est ce récit qui dessine le cadre spirituel et théologique qui sous-tend la pensée d’Al Asharî, le maître de la Raison orthodoxe. Sa « conversion » est transcendantalisée par l’intervention directe du Prophète au début du mois de ramadan. Celui-ci utilise le langage du milieu intellectuel dans lequel vivait Al Asharî. C’est l’autorité indiscutable du Prophète qui disqualifie les mutazilites. Les arguments rationnels ne sont d’ailleurs preuve que prenant force « dans le cœur ».
Ce « récit-cadre » montre comment faire passer sous une forme simple, accessible à tous les « cœurs » une théologie devenue plus efficace que des thèses pourtant plus élaborées, une théologie qui a su se nourrir, au contraire du rationalisme technique des mutazilites et des falâsifa, à la fois de la sharî’a et des récits et a gagné par là-même sa supériorité sociologique (et non pas épistémologique), en mariant les éléments constitutifs de la tradition islamique vivante et des représentations issues des cultures populaires. Cette Raison orthodoxe est toujours influente, ayant répandu depuis les années 70, via les écoles conçues pour éradiquer l’analphabétisme, une religion populiste tournée vers la conquête du pouvoir, et qui a produit, par son rôle dans l’éducation officielle, une ignorance institutionnalisée touchant jusqu’aux élites.
Ce « récit-cadre » montre comment faire passer sous une forme simple, accessible à tous les « cœurs » une théologie devenue plus efficace que des thèses pourtant plus élaborées, une théologie qui a su se nourrir, au contraire du rationalisme technique des mutazilites et des falâsifa, à la fois de la sharî’a et des récits et a gagné par là-même sa supériorité sociologique (et non pas épistémologique), en mariant les éléments constitutifs de la tradition islamique vivante et des représentations issues des cultures populaires. Cette Raison orthodoxe est toujours influente, ayant répandu depuis les années 70, via les écoles conçues pour éradiquer l’analphabétisme, une religion populiste tournée vers la conquête du pouvoir, et qui a produit, par son rôle dans l’éducation officielle, une ignorance institutionnalisée touchant jusqu’aux élites.
Les enjeux immédiats et durables de la raison (orthodoxe) en islam
Il était malaisé à l’époque classique d’avoir une claire vision des enjeux durables de la RI (orthodoxe). Dans toute société, ce sont les enjeux immédiats qui l’emportent, tels que les nécessités de la polémique, la volonté de reproduire les enseignements du maître, les commandes des mécènes, l’idéologie dominante… La particularité de la RI tient à ces longs siècles de ralentissement du débat dialectique entre courants de pensée. Encore aujourd’hui la RI (orthodoxe) trace les frontières entre les vrais croyants et les corrupteurs, entre la Révolution islamique et les régimes « sataniques ».
Le Coran, sous le couvert de l’i’jâz (inimitabilité), transmue en permanence le profane en sacré, le temporel en spirituel, l’environnement en univers de signes proposés à la méditation…Les enjeux les plus contingents sont donnés à vivre et comprendre comme des enjeux spirituels, ontologiques, divins,… Au moment où l’on s’excommuniait sur le statut de l’acte humain, les attributs de Dieu, le Coran créé ou incréé,.., les incidences politiques et psychologiques des débats était voilés. Tous les protagonistes étaient censés rechercher l’Unicité, la Justice, la Présence de Dieu vivant. Dans la discussion sur le statut de l’acte humain [22], Al Asharî répète les expressions dans sa « réalité vraie » (ala haqîqatihi), « en vérité » (fi-lhaqîqa ), la référence au vrai étant la référence à Dieu.
En rhétorique, haqîqa s’oppose à majâz (métaphore). Or, bien qu’étudiée sur le plan littéraire, la métaphore ne l’a jamais été dans sa dimension linguistique, comme moyen de transmutation poétique, religieuse et idéologique du réel. Une théologie qui n’a pas pensé son historicité, ni travaillé sur l’analyse linguistique de son discours et son fonctionnement sémiotique fonctionne sur un immense impensé, les seules options différentes se réduisant au « monologue redondant » des zâwiya (voie soufie) ou aux appels véhéments au jihad. Aujourd’hui, la religion continue de remplir ses fonctions multiples (symbolisation de l’existence, protestation sociale ou au contraire justification de l’ordre établi,…) mais les formes d’argumentation et de discours sont très appauvris par rapport à la RIC. La littérature politologique a pratiquement délaissé l’analyse pourtant indispensable des corrélations très fortes entre les régressions de la vie intellectuelle et la montée de forces populistes sans projet politique moderne.
Raison scolastique et sens pratique
La raison normative, à côté de sa face théorique, présente une face pratique. Le discours coranique, et ceci n’a pas été assez souligné, a un caractère polémique. Pour Muhammad, il s’agit de disqualifier le capital symbolique de la Jâhiliyya (la période d'ante islam, l'ignorance) et ce dernier concept est utilisé comme faire valoir de la portée émancipatrice de l’islam.
Selon P. Bourdieu, l’analyste doit pour la compréhension de tout type de société dégager le sens pratique qui y est à l’œuvre. Pour éviter tout subjectivisme phénoménologique ou tout objectivisme structuraliste, il faut prendre en compte de façon inséparable deux plans de signification et d’action : – les effets sociaux de tout discours savant qui construit ses objets scientifiques en sélectionnant dans la pratique des agents observés ; – la pratique réelle de ces agents qui sont mus par des « schèmes pratiques, opaques à eux-mêmes qui pourront varier selon la logique de la situation. »
Dans le contexte socioculturel islamique, l’islam intériorisé est celui d’un « Modèle inaugurateur d’une Nouvelle Alliance entre le Créateur de les créatures », abolissant les Modèles civilisateurs antérieurs. Cette représentation imaginaire de la Nouvelle Alliance est celle qui est mobilisée dans l’opposition au Modèle sécularisé occidental. Le Coran a introduit une théologie non spéculative, qui a façonné un credo sommaire et accessible à tous, comme en témoigne le verset 3 de la sourate 5, qui relie la question des interdits alimentaires à l’enracinement dans la religion. C’est que les interdits alimentaires vont servir de marqueurs identitaires visibles. La croyance est inscrite physiquement dans le corps, par l’observance rituelle commune à tous, indépendamment du statut social. La « religion vraie » s’inscrit dans les conduites individuelles à travers la conscience du péché et les conduites sociales, par un système de gestes et d’énoncés liés à des moments et espaces sacralisés. De sorte que les spéculations théologiques, plus tardives, se présentent comme des superstructures rationalisantes ayant pour but d’impliquer la raison dans la compréhension de la foi. Alors que la « Religion vraie » telle que structurée à partir de la définition coranique touche toute les couches sociales, la religion intellectualisée concerne les élites à qui la culture savante est accessible. Il y a là un clivage de portée anthropologique qui permet de comprendre l’expansion sociologique connue par la religion populaire au moment où la RIC perd ses assises sociales urbaines ainsi que les centres politiques forts où elle se réalisait23 et le soutien des classes marchandes qui avait existé dans l’aire Iran-Irak et al Andalus aux 9ème et 10ème siècles. A partir du 13ème siècle, la RIC va progressivement laisser place à une raison scolastique gérant une religion de plus en plus réduite aux marqueurs rituels, tels que pratiqués par chaque groupe ethno-culturel. Aujourd’hui, on retrouve dans le discours islamiste l’opposition – énoncée par Dieu – entre la « Communauté bien guidée sur la Voie du Salut » et les « ummiyyûn qui ne connaissent point le Livre » (2/78), mobilisant les imaginaires collectifs contre les « ennemis de Dieu », qu’ils soient internes ou externes.
La brève analyse conduite à partir du verset 5-3 est proposée comme exemple d’une méthode à étendre à l’ensemble des énoncés coraniques, pour comprendre le mouvement inter-actif qui a pu se produire au cours du temps entre les modes d’intériorisation de la religion au moment où s’est présenté le discours prophétique et les interprétations ultérieures de la raison-imagination. Une enquête fondée sur cette méthode est une des tâches majeures de la Critique de la RI pour opérer une distinction entre différents statuts cognitifs et différentes stratégies d’interventions, jusqu’à maintenant confondues sous le terme « islam », lourdement chargé de présupposés obscurcissants. Il s’agit de radicaliser la critique des mécanismes de production du sens et du contrôle de ses métamorphoses.
On peut déjà observer que linguistiquement, le discours coranique rompt avec le système de la langue Arabe du 1er/7ème siècle., instaurant des formes d’expression conditionnant les rapports langue-pensée et donc l’exercice de la RI. Topologiquement, il aborde des lieux qui sont constitutifs de la pensée universelle : l’Etre et les êtres, le temps, la vie, la mort, la vérité, l’autorité, etc… Il instaure des attitudes et pratiques de l’entendement (‘aql, fqh,’ilm,dbr,’ml), des dispositions du cœur orientant le sujet vers l’accueil de vérités révélées.
Typologiquement, il esquisse des distinctions telles que nature/culture,connaissable/inconnaissable, rétribution/châtiment, pur/impur, etc… qui donnent des pistes fécondes à explorer par la raison-imagination.
Discursivement, les noms désignent la réalité stable des êtres et choses créées par Dieu et de leurs relations. La syntaxe permet à la raison de retrouver les vérités profondes sous l’articulation grammaticale du texte. Les récits développent, par l’usage de Figures symboliques, ce que doit être l’ordre des choses, la ligne de la conduite humaine.
Historiquement, le discours coranique inscrit le temps de l’action humaine dans le temps de l’éternité. La vie immédiate prend son sens dans l’Autre vie, et le monde profane ne prend sa valeur qu’en tant qu’il est le lieu où se déploie le monde divin.
Sémiologiquement [24], chaque domaine de la réalité est un système de signes qui, s’ils sont correctement déchiffrés, élèvent l’âme et l’esprit de l’homme, vers un niveau qui tend à se rapprocher de la perfection divine. C’est ici que se manifeste la tension spirituelle la plus forte chez ceux qui mobilisent leurs efforts spirituels pour se rapprocher de Dieu.
Sémiotiquement [25], les « qasas » (grands récits fondateurs) intègrent un ensemble de « sens pratiques » renvoyant à des temps et contextes éloignés, mais offrant des visées de sens nouvelles. Ce qui permet au récit coranique, tout en rompant avec la Jâhiliyya ou en dénonçant l’altération du Texte par les monothéismes antérieurs, d’intégrer un rituel tel que le Hajj (pélerinage) ou de reprendre des enseignements de la Bible et des Evangiles. Cette approche sémiotique est très importante, car c’est ainsi que se comprend la dominance des valeurs dites islamiques, qui appartenaient en fait aux mémoires collectives des convertis.
L’introduction brutale, dans une société parcourue depuis plus d’un millénaire par le travail d’échange symbolique visant à transformer l’ensemble des relations sociales inévitables en relations de réciprocité fondées en nature, une société où les habitus découlent du religieux, de la modernité avec la rationalité occidentale, son économie productiviste, ses modèles scientifiques, a été un choc immense pour le monde musulman.
Le Coran, sous le couvert de l’i’jâz (inimitabilité), transmue en permanence le profane en sacré, le temporel en spirituel, l’environnement en univers de signes proposés à la méditation…Les enjeux les plus contingents sont donnés à vivre et comprendre comme des enjeux spirituels, ontologiques, divins,… Au moment où l’on s’excommuniait sur le statut de l’acte humain, les attributs de Dieu, le Coran créé ou incréé,.., les incidences politiques et psychologiques des débats était voilés. Tous les protagonistes étaient censés rechercher l’Unicité, la Justice, la Présence de Dieu vivant. Dans la discussion sur le statut de l’acte humain [22], Al Asharî répète les expressions dans sa « réalité vraie » (ala haqîqatihi), « en vérité » (fi-lhaqîqa ), la référence au vrai étant la référence à Dieu.
En rhétorique, haqîqa s’oppose à majâz (métaphore). Or, bien qu’étudiée sur le plan littéraire, la métaphore ne l’a jamais été dans sa dimension linguistique, comme moyen de transmutation poétique, religieuse et idéologique du réel. Une théologie qui n’a pas pensé son historicité, ni travaillé sur l’analyse linguistique de son discours et son fonctionnement sémiotique fonctionne sur un immense impensé, les seules options différentes se réduisant au « monologue redondant » des zâwiya (voie soufie) ou aux appels véhéments au jihad. Aujourd’hui, la religion continue de remplir ses fonctions multiples (symbolisation de l’existence, protestation sociale ou au contraire justification de l’ordre établi,…) mais les formes d’argumentation et de discours sont très appauvris par rapport à la RIC. La littérature politologique a pratiquement délaissé l’analyse pourtant indispensable des corrélations très fortes entre les régressions de la vie intellectuelle et la montée de forces populistes sans projet politique moderne.
Raison scolastique et sens pratique
La raison normative, à côté de sa face théorique, présente une face pratique. Le discours coranique, et ceci n’a pas été assez souligné, a un caractère polémique. Pour Muhammad, il s’agit de disqualifier le capital symbolique de la Jâhiliyya (la période d'ante islam, l'ignorance) et ce dernier concept est utilisé comme faire valoir de la portée émancipatrice de l’islam.
Selon P. Bourdieu, l’analyste doit pour la compréhension de tout type de société dégager le sens pratique qui y est à l’œuvre. Pour éviter tout subjectivisme phénoménologique ou tout objectivisme structuraliste, il faut prendre en compte de façon inséparable deux plans de signification et d’action : – les effets sociaux de tout discours savant qui construit ses objets scientifiques en sélectionnant dans la pratique des agents observés ; – la pratique réelle de ces agents qui sont mus par des « schèmes pratiques, opaques à eux-mêmes qui pourront varier selon la logique de la situation. »
Dans le contexte socioculturel islamique, l’islam intériorisé est celui d’un « Modèle inaugurateur d’une Nouvelle Alliance entre le Créateur de les créatures », abolissant les Modèles civilisateurs antérieurs. Cette représentation imaginaire de la Nouvelle Alliance est celle qui est mobilisée dans l’opposition au Modèle sécularisé occidental. Le Coran a introduit une théologie non spéculative, qui a façonné un credo sommaire et accessible à tous, comme en témoigne le verset 3 de la sourate 5, qui relie la question des interdits alimentaires à l’enracinement dans la religion. C’est que les interdits alimentaires vont servir de marqueurs identitaires visibles. La croyance est inscrite physiquement dans le corps, par l’observance rituelle commune à tous, indépendamment du statut social. La « religion vraie » s’inscrit dans les conduites individuelles à travers la conscience du péché et les conduites sociales, par un système de gestes et d’énoncés liés à des moments et espaces sacralisés. De sorte que les spéculations théologiques, plus tardives, se présentent comme des superstructures rationalisantes ayant pour but d’impliquer la raison dans la compréhension de la foi. Alors que la « Religion vraie » telle que structurée à partir de la définition coranique touche toute les couches sociales, la religion intellectualisée concerne les élites à qui la culture savante est accessible. Il y a là un clivage de portée anthropologique qui permet de comprendre l’expansion sociologique connue par la religion populaire au moment où la RIC perd ses assises sociales urbaines ainsi que les centres politiques forts où elle se réalisait23 et le soutien des classes marchandes qui avait existé dans l’aire Iran-Irak et al Andalus aux 9ème et 10ème siècles. A partir du 13ème siècle, la RIC va progressivement laisser place à une raison scolastique gérant une religion de plus en plus réduite aux marqueurs rituels, tels que pratiqués par chaque groupe ethno-culturel. Aujourd’hui, on retrouve dans le discours islamiste l’opposition – énoncée par Dieu – entre la « Communauté bien guidée sur la Voie du Salut » et les « ummiyyûn qui ne connaissent point le Livre » (2/78), mobilisant les imaginaires collectifs contre les « ennemis de Dieu », qu’ils soient internes ou externes.
La brève analyse conduite à partir du verset 5-3 est proposée comme exemple d’une méthode à étendre à l’ensemble des énoncés coraniques, pour comprendre le mouvement inter-actif qui a pu se produire au cours du temps entre les modes d’intériorisation de la religion au moment où s’est présenté le discours prophétique et les interprétations ultérieures de la raison-imagination. Une enquête fondée sur cette méthode est une des tâches majeures de la Critique de la RI pour opérer une distinction entre différents statuts cognitifs et différentes stratégies d’interventions, jusqu’à maintenant confondues sous le terme « islam », lourdement chargé de présupposés obscurcissants. Il s’agit de radicaliser la critique des mécanismes de production du sens et du contrôle de ses métamorphoses.
On peut déjà observer que linguistiquement, le discours coranique rompt avec le système de la langue Arabe du 1er/7ème siècle., instaurant des formes d’expression conditionnant les rapports langue-pensée et donc l’exercice de la RI. Topologiquement, il aborde des lieux qui sont constitutifs de la pensée universelle : l’Etre et les êtres, le temps, la vie, la mort, la vérité, l’autorité, etc… Il instaure des attitudes et pratiques de l’entendement (‘aql, fqh,’ilm,dbr,’ml), des dispositions du cœur orientant le sujet vers l’accueil de vérités révélées.
Typologiquement, il esquisse des distinctions telles que nature/culture,connaissable/inconnaissable, rétribution/châtiment, pur/impur, etc… qui donnent des pistes fécondes à explorer par la raison-imagination.
Discursivement, les noms désignent la réalité stable des êtres et choses créées par Dieu et de leurs relations. La syntaxe permet à la raison de retrouver les vérités profondes sous l’articulation grammaticale du texte. Les récits développent, par l’usage de Figures symboliques, ce que doit être l’ordre des choses, la ligne de la conduite humaine.
Historiquement, le discours coranique inscrit le temps de l’action humaine dans le temps de l’éternité. La vie immédiate prend son sens dans l’Autre vie, et le monde profane ne prend sa valeur qu’en tant qu’il est le lieu où se déploie le monde divin.
Sémiologiquement [24], chaque domaine de la réalité est un système de signes qui, s’ils sont correctement déchiffrés, élèvent l’âme et l’esprit de l’homme, vers un niveau qui tend à se rapprocher de la perfection divine. C’est ici que se manifeste la tension spirituelle la plus forte chez ceux qui mobilisent leurs efforts spirituels pour se rapprocher de Dieu.
Sémiotiquement [25], les « qasas » (grands récits fondateurs) intègrent un ensemble de « sens pratiques » renvoyant à des temps et contextes éloignés, mais offrant des visées de sens nouvelles. Ce qui permet au récit coranique, tout en rompant avec la Jâhiliyya ou en dénonçant l’altération du Texte par les monothéismes antérieurs, d’intégrer un rituel tel que le Hajj (pélerinage) ou de reprendre des enseignements de la Bible et des Evangiles. Cette approche sémiotique est très importante, car c’est ainsi que se comprend la dominance des valeurs dites islamiques, qui appartenaient en fait aux mémoires collectives des convertis.
L’introduction brutale, dans une société parcourue depuis plus d’un millénaire par le travail d’échange symbolique visant à transformer l’ensemble des relations sociales inévitables en relations de réciprocité fondées en nature, une société où les habitus découlent du religieux, de la modernité avec la rationalité occidentale, son économie productiviste, ses modèles scientifiques, a été un choc immense pour le monde musulman.
Une pluralité d'islams
On a souvent décrit la civilisation de l’islam classique à partir de la littérature savante. Cela permettait de construire un Islam unifié et unifiant, sous la conduite de la raison orthodoxe. Mais si le point de départ est l’étude de la vie quotidienne des peuples enracinés dans des pratiques millénaires et vivaces, on découvre une pluralité d’islams, en correspondance avec la diversité des groupes ethno-culturels. Les travaux de R.W. Bulliet [26] imposent de revoir les présentations courantes d’un tel Islam et à s’intéresser aux forces de résistance marginales que sont les groupes segmentaires, l’oralité, la culture dite populaire, et les hérésies. Même sur une aire ethno-linguistique unifiée comme le Maghreb, avec son fond commun berbère et malékite, on peut facilement repérer plusieurs islams ancrés dans des pratiques locales particulières encouragées par les confréries. L’histoire des sociétés d’islam est parcouru de phases où à un Etat fort capable d’élargir l’application de la sharî’a à un Etat affaibli où le sens pratique lié aux configurations locales l’emportait sur la raison orthodoxe.
Le prototype de cette oscillation est fourni par l’histoire d’Ibn Tumert (473-525/1080-1130) dont l’expérience a été répétée par tous les fondateurs de confréries, tous les marabouts-missionnaires. Son exemple est caractéristique des composantes et stratégies du Système d’Action Historique (SAH) caractéristique des sociétés converties à l’islam. Il est d’abord membre de son clan et de sa tribu et a incorporé les habitus de sa société en matière d’honneur, de prestige, de puissance. Il est touché par le sens de la transcendance divine qui s’oppose à l’animisme ambiant et par la vision eschatologique du message. Il va se former en Orient et acquiert alors les composants de la raison orthodoxe, avec son historiographie linéaire, son code juridique, son système théologique. Sa rencontre avec Ghazâlî donnera lieu à une mise en scène littéraire, qui lui confère une consécration spirituelle et scolastique à la fois. En la personne d’Ibn Tumert fusionnent une vision charismatique du Coran et du Prophète et le prestige du ‘ilm. Il a alors la capacité de mobiliser l’imaginaire collectif de salut, étant en phase avec le sens pratique des populations de culture orale. Il peut aussi s’appuyer sur le sentiment naissant d’une relation personnelle à Dieu. Ainsi peut-il communiquer avec les populations comme avec les ulamas. Il s’adresse en Berbère à des populations alors étrangères à la sharî’a, s’autorisant de la science acquise auprès des ulamas et se heurte alors au pouvoir almoravide., qui mobilise contre lui les fuqahas malékites. Il s’engage alors dans une « surenchère mimétique » et proclame une doctrine stricte du Tawhid. Il mime le Modèle prophétique. A sa mort ‘Abd al Mûmin prend le pouvoir et constitue un Etat doté de sa classe d’ulama, de sa langue savante et sa Raison, marginalisant un sens pratique qui était pourtant à l’origine du mouvement.
On retrouve un tel SAH dans toutes les sociétés du Livre, où les luttes pour dégager le sens vrai des écritures masquent des enjeux de conquête d’un pouvoir hégémonique.
A la fin de ce parcours, se pose la question de savoir quelle est la pertinence du cadre chronologique interprétatif utilisé pour rendre compte de l’histoire de la pensée et des sociétés liées au fait islamique. Dans une perspective anthropologique, l’expérience de Médine, érigée en Moment fondateur d’un SAH irréductible devient une reproduction mimétique du modèle prophétique déjà mémorisé par les peuples du Proche-Orient ancien. C’est sa relecture en langue arabe par Muhammad et son action concrète (la création d’un Etat) qui donnent naissance à un nouveau système de connotations dont le sens n’est accessible qu’aux acteurs de l’histoire vécue au Hijâz, amplifiée ensuite par les peuples convertis. De sorte que les prétentions universalistes des raisons théorico-juridiques ont toujours dans la réalité été mises en échec par la permanence des frontières invisibles logées au profond des consciences individuelles et des mémoires collectives.
La philosophie politique moderne a semblé faire un grand pas en avant avec la théorie de l’Etat-Nation, mais les limites de celui-ci sont en train d’apparaître au grand jour avec les résistances à l’intégration européenne. De sorte que chaque tradition culturelle se trouve confrontée à la nécessité d’ouvrir un chantier semblable à celui d’un critique de la RI.
Le prototype de cette oscillation est fourni par l’histoire d’Ibn Tumert (473-525/1080-1130) dont l’expérience a été répétée par tous les fondateurs de confréries, tous les marabouts-missionnaires. Son exemple est caractéristique des composantes et stratégies du Système d’Action Historique (SAH) caractéristique des sociétés converties à l’islam. Il est d’abord membre de son clan et de sa tribu et a incorporé les habitus de sa société en matière d’honneur, de prestige, de puissance. Il est touché par le sens de la transcendance divine qui s’oppose à l’animisme ambiant et par la vision eschatologique du message. Il va se former en Orient et acquiert alors les composants de la raison orthodoxe, avec son historiographie linéaire, son code juridique, son système théologique. Sa rencontre avec Ghazâlî donnera lieu à une mise en scène littéraire, qui lui confère une consécration spirituelle et scolastique à la fois. En la personne d’Ibn Tumert fusionnent une vision charismatique du Coran et du Prophète et le prestige du ‘ilm. Il a alors la capacité de mobiliser l’imaginaire collectif de salut, étant en phase avec le sens pratique des populations de culture orale. Il peut aussi s’appuyer sur le sentiment naissant d’une relation personnelle à Dieu. Ainsi peut-il communiquer avec les populations comme avec les ulamas. Il s’adresse en Berbère à des populations alors étrangères à la sharî’a, s’autorisant de la science acquise auprès des ulamas et se heurte alors au pouvoir almoravide., qui mobilise contre lui les fuqahas malékites. Il s’engage alors dans une « surenchère mimétique » et proclame une doctrine stricte du Tawhid. Il mime le Modèle prophétique. A sa mort ‘Abd al Mûmin prend le pouvoir et constitue un Etat doté de sa classe d’ulama, de sa langue savante et sa Raison, marginalisant un sens pratique qui était pourtant à l’origine du mouvement.
On retrouve un tel SAH dans toutes les sociétés du Livre, où les luttes pour dégager le sens vrai des écritures masquent des enjeux de conquête d’un pouvoir hégémonique.
A la fin de ce parcours, se pose la question de savoir quelle est la pertinence du cadre chronologique interprétatif utilisé pour rendre compte de l’histoire de la pensée et des sociétés liées au fait islamique. Dans une perspective anthropologique, l’expérience de Médine, érigée en Moment fondateur d’un SAH irréductible devient une reproduction mimétique du modèle prophétique déjà mémorisé par les peuples du Proche-Orient ancien. C’est sa relecture en langue arabe par Muhammad et son action concrète (la création d’un Etat) qui donnent naissance à un nouveau système de connotations dont le sens n’est accessible qu’aux acteurs de l’histoire vécue au Hijâz, amplifiée ensuite par les peuples convertis. De sorte que les prétentions universalistes des raisons théorico-juridiques ont toujours dans la réalité été mises en échec par la permanence des frontières invisibles logées au profond des consciences individuelles et des mémoires collectives.
La philosophie politique moderne a semblé faire un grand pas en avant avec la théorie de l’Etat-Nation, mais les limites de celui-ci sont en train d’apparaître au grand jour avec les résistances à l’intégration européenne. De sorte que chaque tradition culturelle se trouve confrontée à la nécessité d’ouvrir un chantier semblable à celui d’un critique de la RI.
Appréciation personnelle
Le texte que nous venons de présenter est d’un accès difficile [27] mais d’un grand intérêt.
Nous avons découvert tout d’abord un positionnement original de l’auteur : se présentant comme étant à l’intérieur de l’islam [28], à la différence des politologues dont il pointe à plusieurs reprises l’approche réductrice, il semble toutefois à l’extérieur de la foi musulmane. Tout du moins se présente-il ainsi dans sa pratique de chercheur. Et l’on pourrait dire qu’il est à l’intérieur de l’Islam comme culture et civilisation et à l’extérieur de la foi, qu’il observe avec un ensemble de méthodologies provenant de diverses sciences sociales contemporaines. Il est toutefois à la limite de cet « extérieur » au moment où, étudiant la pensée d’Al Asharî, il se réfère à un hadith qui valorise la divergence (« L’ikhtilaf est une Miséricorde »), ce qui laisse ouvert un point d’interrogation sur son rapport à la croyance.
On trouve dans le mouvement de ce texte un mouvement semblable à celui des enseignements reçus à l’Institut (IIIT, aujourd'hui disparu), où le souci est de relier les débats d’aujourd’hui aux débats de la plus grande ère productive de l’Islam – ceux qui seront clos (pour la majorité des ulama) à partir du 13ème siècle. On voit bien aussi comment les études dominantes, même érudites, qui étudient la pensée islamique en courants homogènes se succédant linéairement dans le temps sont loin de la réalité. Le mythe d’un islam unifié et unifiant est bien déconstruit. Cependant la finalité semble différente, intellectuelle, culturelle et politique, laissant la religion dans un statut seulement sociologique et anthropologique, sans que la question de la foi trouve sa place dans celle de la revitalisation de la pensée, notamment de la pensée théologique.
Il est question d’identifier la RIC et de l’aborder d’un point de vue critique pour avoir avec un autre regard sur la période muhammadienne stricto sensu et largo sensu. Les notions de RI – qui ne touche qu’aux sciences religieuses – et celle de RIC, qui permet d’aborder la période 9ème-13ème siècles nous paraissent fécondes, quoiqu’une ambigüité subsiste entre RIC et raison orthodoxe (Que l’on pourrait appeler RO), cette dernière semblant à la fois appartenir à la RIC (ce qui est juste historiquement) et aller à l’encontre de cette RIC (celle qui est multiple, foisonnante, diverse). Une distinction R0/RIC aurait été bienvenue.
La méthode consistant à analyser des « œuvres-tests » nous paraît tout à fait judicieuse et est tout à fait stimulante. On voit comment très tôt, avec Shafi’î, se dessine une théologie d’une grande efficacité pour la conquête des cœurs et des conduites du plus grand nombre. On voit aussi comment l’analyse du discours juridique n’est pas suffisante, comment le discours juridique n’est pas seul responsable de la fermeture intellectuelle devenue majoritaire après l’ère classique. L’étude de plusieurs textes d’Al Asharî, fondateur de facto en théologie d’une orthodoxie solide, montre bien comment la maîtrise d’un discours dialectique et l’articulation avec un credo populaire simple est efficace et peut expliquer la domination de ce courant jusqu’à la période contemporaine. On apprécie également le caractère pédagogique de l’exposé sur Ibn Tumert, qui montre le jeu d’inter-action entre élan populaire et institutionnalisation. L’étude ne n’est pas arrêtée aux œuvres. Elle a aussi le grand mérite de souligner le poids de l’efficacité des rites et des pratiques à la fois dans le maintien de la cohésion sociale et à la fois dans celui d’un ordre immobile.
Le texte se termine par la suggestion d’un grand nombre de chantiers de recherche.
Malgré tout, était –il nécessaire de passer par tous les questionnements abordés pour revenir à la période muhammadienne d’une façon aussi limitée ? Ce n’est pas ici des débats théologiques qu’il s’agit – or nous savons qu’ils sont nés dès la mort du Prophète, et pas seulement après 661 – mais de la pratique rituelle des musulmans « inscrites dans les corps » et des habitus liés à une culture particulière, héritant – ce qui est banal et normal – des pratiques des sociétés antérieures. Donc, si l’analyse de la victoire de l’asharisme nous semble fine, nous restons sur notre faim quant à l’étude de l’époque fondatrice de l’islam. L’auteur semble ici manquer de cohérence scientifique dans sa démarche.
On est en particulier surpris de la brièveté de la conclusion qui rétrécit la portée de la religion musulmane d’une façon considérable : le message prophétique ne résulte que de l’appropriation en langue arabe d’un modèle préexistant dans le Proche-Orient, la force du message résidant dans cette appropriation et la création d’un Etat. La nouvelle lecture proposée est un aplatissement considérable de l’élan pourtant historiquement constaté d’une religion qui a précisément montré par son extension géographique et culturelle sa capacité à se diriger vers l’universalité de son message, même s’il est exact que l’islam s’est toujours mélangé aux cultures locales pour prendre racine dans un grand nombre de société. Est-ce pour autant qu’il n’a jamais réellement débordé les frontières intimes ?
Pour conclure, nous voudrions relever un scrupule exprimé par l’auteur, qui montre sa conscience de se situer à un point limite et quelques doutes sur le caractère de sa démarche. Il s’interroge à un moment sur la question de la légitimité et des conséquences possibles de l’intervention de l’analyste, toutes les traditions vivantes reposant sur une organisation et une pratique de la conscience mythique [29]. Il observe que la mise à distance critique d’une telle conscience ne peut être réalisée que par une conscience qui sépare ce qui était vécu comme intimement relié (mythe et histoire, foi et connaissance expérimentale, etc… ). Et qu’ainsi la raison critique elle-même peut se révéler manipulatrice par un découpage réductionniste de son objet d’études. Il est conscient qu’il y a confrontation entre deux stratégies de la raison et que les débats entre « Islam et Occident » depuis l’ère coloniale reposent sur le refus de la raison moderne de remettre en cause ses certitudes. On commence à peine nous dit-il à s’éloigner des couples foi/raison, tradition/modernité, connaissance spirituelle/connaissance positive… et à explorer l’errance comme possibilité de dépassement des fausses connaissances.
Ce scrupule étant énoncé, le schéma d’analyse reste inchangé. C’est qu’il n’est sans doute pas aisé de trouver une troisième voie entre l’approche de la raison moderne et celle de la raison islamique. En tout cas pour un auteur qui s’est extériorisé de cette raison-là.
Travail effectué dans le cadre de l’enseignement de Mohamed Mestiri Courants de pensée en Islam.
Septembre 2009
Nous avons découvert tout d’abord un positionnement original de l’auteur : se présentant comme étant à l’intérieur de l’islam [28], à la différence des politologues dont il pointe à plusieurs reprises l’approche réductrice, il semble toutefois à l’extérieur de la foi musulmane. Tout du moins se présente-il ainsi dans sa pratique de chercheur. Et l’on pourrait dire qu’il est à l’intérieur de l’Islam comme culture et civilisation et à l’extérieur de la foi, qu’il observe avec un ensemble de méthodologies provenant de diverses sciences sociales contemporaines. Il est toutefois à la limite de cet « extérieur » au moment où, étudiant la pensée d’Al Asharî, il se réfère à un hadith qui valorise la divergence (« L’ikhtilaf est une Miséricorde »), ce qui laisse ouvert un point d’interrogation sur son rapport à la croyance.
On trouve dans le mouvement de ce texte un mouvement semblable à celui des enseignements reçus à l’Institut (IIIT, aujourd'hui disparu), où le souci est de relier les débats d’aujourd’hui aux débats de la plus grande ère productive de l’Islam – ceux qui seront clos (pour la majorité des ulama) à partir du 13ème siècle. On voit bien aussi comment les études dominantes, même érudites, qui étudient la pensée islamique en courants homogènes se succédant linéairement dans le temps sont loin de la réalité. Le mythe d’un islam unifié et unifiant est bien déconstruit. Cependant la finalité semble différente, intellectuelle, culturelle et politique, laissant la religion dans un statut seulement sociologique et anthropologique, sans que la question de la foi trouve sa place dans celle de la revitalisation de la pensée, notamment de la pensée théologique.
Il est question d’identifier la RIC et de l’aborder d’un point de vue critique pour avoir avec un autre regard sur la période muhammadienne stricto sensu et largo sensu. Les notions de RI – qui ne touche qu’aux sciences religieuses – et celle de RIC, qui permet d’aborder la période 9ème-13ème siècles nous paraissent fécondes, quoiqu’une ambigüité subsiste entre RIC et raison orthodoxe (Que l’on pourrait appeler RO), cette dernière semblant à la fois appartenir à la RIC (ce qui est juste historiquement) et aller à l’encontre de cette RIC (celle qui est multiple, foisonnante, diverse). Une distinction R0/RIC aurait été bienvenue.
La méthode consistant à analyser des « œuvres-tests » nous paraît tout à fait judicieuse et est tout à fait stimulante. On voit comment très tôt, avec Shafi’î, se dessine une théologie d’une grande efficacité pour la conquête des cœurs et des conduites du plus grand nombre. On voit aussi comment l’analyse du discours juridique n’est pas suffisante, comment le discours juridique n’est pas seul responsable de la fermeture intellectuelle devenue majoritaire après l’ère classique. L’étude de plusieurs textes d’Al Asharî, fondateur de facto en théologie d’une orthodoxie solide, montre bien comment la maîtrise d’un discours dialectique et l’articulation avec un credo populaire simple est efficace et peut expliquer la domination de ce courant jusqu’à la période contemporaine. On apprécie également le caractère pédagogique de l’exposé sur Ibn Tumert, qui montre le jeu d’inter-action entre élan populaire et institutionnalisation. L’étude ne n’est pas arrêtée aux œuvres. Elle a aussi le grand mérite de souligner le poids de l’efficacité des rites et des pratiques à la fois dans le maintien de la cohésion sociale et à la fois dans celui d’un ordre immobile.
Le texte se termine par la suggestion d’un grand nombre de chantiers de recherche.
Malgré tout, était –il nécessaire de passer par tous les questionnements abordés pour revenir à la période muhammadienne d’une façon aussi limitée ? Ce n’est pas ici des débats théologiques qu’il s’agit – or nous savons qu’ils sont nés dès la mort du Prophète, et pas seulement après 661 – mais de la pratique rituelle des musulmans « inscrites dans les corps » et des habitus liés à une culture particulière, héritant – ce qui est banal et normal – des pratiques des sociétés antérieures. Donc, si l’analyse de la victoire de l’asharisme nous semble fine, nous restons sur notre faim quant à l’étude de l’époque fondatrice de l’islam. L’auteur semble ici manquer de cohérence scientifique dans sa démarche.
On est en particulier surpris de la brièveté de la conclusion qui rétrécit la portée de la religion musulmane d’une façon considérable : le message prophétique ne résulte que de l’appropriation en langue arabe d’un modèle préexistant dans le Proche-Orient, la force du message résidant dans cette appropriation et la création d’un Etat. La nouvelle lecture proposée est un aplatissement considérable de l’élan pourtant historiquement constaté d’une religion qui a précisément montré par son extension géographique et culturelle sa capacité à se diriger vers l’universalité de son message, même s’il est exact que l’islam s’est toujours mélangé aux cultures locales pour prendre racine dans un grand nombre de société. Est-ce pour autant qu’il n’a jamais réellement débordé les frontières intimes ?
Pour conclure, nous voudrions relever un scrupule exprimé par l’auteur, qui montre sa conscience de se situer à un point limite et quelques doutes sur le caractère de sa démarche. Il s’interroge à un moment sur la question de la légitimité et des conséquences possibles de l’intervention de l’analyste, toutes les traditions vivantes reposant sur une organisation et une pratique de la conscience mythique [29]. Il observe que la mise à distance critique d’une telle conscience ne peut être réalisée que par une conscience qui sépare ce qui était vécu comme intimement relié (mythe et histoire, foi et connaissance expérimentale, etc… ). Et qu’ainsi la raison critique elle-même peut se révéler manipulatrice par un découpage réductionniste de son objet d’études. Il est conscient qu’il y a confrontation entre deux stratégies de la raison et que les débats entre « Islam et Occident » depuis l’ère coloniale reposent sur le refus de la raison moderne de remettre en cause ses certitudes. On commence à peine nous dit-il à s’éloigner des couples foi/raison, tradition/modernité, connaissance spirituelle/connaissance positive… et à explorer l’errance comme possibilité de dépassement des fausses connaissances.
Ce scrupule étant énoncé, le schéma d’analyse reste inchangé. C’est qu’il n’est sans doute pas aisé de trouver une troisième voie entre l’approche de la raison moderne et celle de la raison islamique. En tout cas pour un auteur qui s’est extériorisé de cette raison-là.
Travail effectué dans le cadre de l’enseignement de Mohamed Mestiri Courants de pensée en Islam.
Septembre 2009
[1] Ce document de 39 pages était en septembre 2009 en accès libre sur le site internet du professeur Arkoun (google pages). Il semblait être une introduction d’un ouvrage en cours de préparation, qui aurait approfondi les travaux déjà conduits sur ce thème par l’auteur, qui a notamment publié en 1984 une Critique de la Raison islamique.
[2] Que sais-je ? Edition 2008, Paris.
[3] Cursus Bac+5 en études islamiques interdisciplinaire à l’IIIT France à Saint-Ouen, qui a dû fermer ses portes au début de l'année 2012.
[4] Principale source : encyclopédie en ligne Wikipedia.
[5] Ceci étant la version présentée sur Wikipédia. Une amie kabyle très cultivée et bonne connaisseuse de l’histoire de son pays – digne de foi – m’apprend qu’orphelin, il a été élevé par les Pères blancs, et néanmoins est resté musulman. De ses informations ressort l’image d’une identité complexe marquée par cette enfance particulière sous présence coloniale. Une éducation qui lui a permis sans doute d’accéder à d’autres codes et horizons culturels, mais qui n’a pas déraciné la conscience aigu de l’atteinte à la personnalité arabo-islamique de l’Algérie par la colonisation.
[6] Mon incompréhension des titres arabes
[7] http://www.humanite.fr/2001-11-13_Tribune-libre_-Mohamed-Arkoun-l-impense-dans-l-islam-contemporain
[8] Page 6 du texte étudié.
[9] Extrait de l’entretien accordé au journal l’Humanité, déjà cité. Ces quelques phrases me semblent particulièrement éclairantes du sens que M. Arkoun accorde à son travail, du moteur qui l’a entraîné dans la production de son œuvre. Intellect, culture et politique dans cette approche sont intimement liés.
[10] C’est une déduction purement personnelle tirée de la lecture du document, l’auteur ne situant pas le contexte de sa mise en ligne.
[11] Ceux qui renient le fait que Dieu se soit adressé à Moïse sous la forme du buisson ardent.
[12] Celui-ci met fin à la domination de la pensée mutazilite à la cour au profit de la pensée hanbalite.
[13] L’œuvre de Tabarî est une autre de ces œuvres-tests.
[14] Pas de précision sur l’édition étudiée. Peut-être un travail comparatif des différentes éditions.
[15] M. Arkoun utilise la version de M. Hamidullah, Rabat, 1976. NB : nous nous étonnons de la référence à Ibn Ishâq, sachant que son récit ne nous est parvenu qu’à travers deux copies, l’une transmise par Ibn Hisham et l’aute par Tabarî, les copies elles-mêmes ayant disparu depuis. Il n’est pas précisé sur quelle version s’appuie Hamidullah.
[16] Dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia, on trouve la définition et les précisions suivantes : La sémiotique est l’étude des signes et de leur signification. En français, le terme sémiologie est souvent utilisé, avec la même signification. A tort puisque le principe sémiotique se différencie de la sémiologie à partir de Charles Saners Pierce. En effet celui-ci élabore un principe sémiotique fonctionnant sur un système triadique, quand la sémiologie fonctionne, elle, selon un système binaire. La sémiotique étudie le processus de signification c’est-à-dire la production, la codification et la communication de signes
[17] Ici M. Arkoun cite Harald Motzk (ed) : The biography of Muhammad. The issue of sources, Brill, Leiden, 2000. Bar-Asher, Meir M. Scripture and exegesis in early shiism, Brill, 1999; Rubin, uri : The eye of the of the beholder. The life of Muhammad as viewed by the early muslims, Darwin press, 1995; Melchert, Christopher : The formation of the Sunnî schools of law, 9th-10th c. Brill, 1997.
[18] Arkoun Lectures du Coran.
[19] « de prendre en charge comme lieu de sa propre errance les pratiques arbitraires réductives tant de la raison religieuse que de la raison moderne qui impose des intelligibilités aventureuses en vérités scientifiques universelles ».
[20] Les shî’ites, les khâkhirites, les murji’ites, les mu’tazilites, les jahmites, les dirâriya, les husayniya, les gens du peuple, les gens du hadîth, les kullâbiya.
[21] Voir ce tableau en annexe (non fourni ici).
[22] Luma § 85-90
[23] On pense bien sûr en particulier à la chute de Bagdad.
[24] Sémiologie : description spécifique de systèmes de signes particuliers.
[25] Dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia, on trouve la définition et les précisions suivantes : La sémiotique est l’étude des signes et de leur signification. En français, le terme sémiologie est souvent utilisé, avec la même signification. A tort puisque le principe sémiotique se différencie de la sémiologie à partir de Charles Saners Pierce. En effet celui-ci élabore un principe sémiotique fonctionnant sur un système triadique, quand la sémiologie fonctionne, elle, selon un système binaire. La sémiotique étudie le processus de signification c’est-à-dire la production, la codification et la communication de signes
[26] Islam. The view from the edge, C.U.P.,1994)
[27] Sans l’aide en ligne de wikipedia, nous n’aurions jamais compris ce qu’était une théologie inchoative, une éleugie, etc…
[28] C’est ce qui ressort explicitement de l’entretien accordé àl’Humanité, mais qui est confirmé par la lecture de l’article qui étude toujours la foi comme une phénomène extérieur.
[29] Nous reprenons ici un passage de notre résumé.
[2] Que sais-je ? Edition 2008, Paris.
[3] Cursus Bac+5 en études islamiques interdisciplinaire à l’IIIT France à Saint-Ouen, qui a dû fermer ses portes au début de l'année 2012.
[4] Principale source : encyclopédie en ligne Wikipedia.
[5] Ceci étant la version présentée sur Wikipédia. Une amie kabyle très cultivée et bonne connaisseuse de l’histoire de son pays – digne de foi – m’apprend qu’orphelin, il a été élevé par les Pères blancs, et néanmoins est resté musulman. De ses informations ressort l’image d’une identité complexe marquée par cette enfance particulière sous présence coloniale. Une éducation qui lui a permis sans doute d’accéder à d’autres codes et horizons culturels, mais qui n’a pas déraciné la conscience aigu de l’atteinte à la personnalité arabo-islamique de l’Algérie par la colonisation.
[6] Mon incompréhension des titres arabes
[7] http://www.humanite.fr/2001-11-13_Tribune-libre_-Mohamed-Arkoun-l-impense-dans-l-islam-contemporain
[8] Page 6 du texte étudié.
[9] Extrait de l’entretien accordé au journal l’Humanité, déjà cité. Ces quelques phrases me semblent particulièrement éclairantes du sens que M. Arkoun accorde à son travail, du moteur qui l’a entraîné dans la production de son œuvre. Intellect, culture et politique dans cette approche sont intimement liés.
[10] C’est une déduction purement personnelle tirée de la lecture du document, l’auteur ne situant pas le contexte de sa mise en ligne.
[11] Ceux qui renient le fait que Dieu se soit adressé à Moïse sous la forme du buisson ardent.
[12] Celui-ci met fin à la domination de la pensée mutazilite à la cour au profit de la pensée hanbalite.
[13] L’œuvre de Tabarî est une autre de ces œuvres-tests.
[14] Pas de précision sur l’édition étudiée. Peut-être un travail comparatif des différentes éditions.
[15] M. Arkoun utilise la version de M. Hamidullah, Rabat, 1976. NB : nous nous étonnons de la référence à Ibn Ishâq, sachant que son récit ne nous est parvenu qu’à travers deux copies, l’une transmise par Ibn Hisham et l’aute par Tabarî, les copies elles-mêmes ayant disparu depuis. Il n’est pas précisé sur quelle version s’appuie Hamidullah.
[16] Dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia, on trouve la définition et les précisions suivantes : La sémiotique est l’étude des signes et de leur signification. En français, le terme sémiologie est souvent utilisé, avec la même signification. A tort puisque le principe sémiotique se différencie de la sémiologie à partir de Charles Saners Pierce. En effet celui-ci élabore un principe sémiotique fonctionnant sur un système triadique, quand la sémiologie fonctionne, elle, selon un système binaire. La sémiotique étudie le processus de signification c’est-à-dire la production, la codification et la communication de signes
[17] Ici M. Arkoun cite Harald Motzk (ed) : The biography of Muhammad. The issue of sources, Brill, Leiden, 2000. Bar-Asher, Meir M. Scripture and exegesis in early shiism, Brill, 1999; Rubin, uri : The eye of the of the beholder. The life of Muhammad as viewed by the early muslims, Darwin press, 1995; Melchert, Christopher : The formation of the Sunnî schools of law, 9th-10th c. Brill, 1997.
[18] Arkoun Lectures du Coran.
[19] « de prendre en charge comme lieu de sa propre errance les pratiques arbitraires réductives tant de la raison religieuse que de la raison moderne qui impose des intelligibilités aventureuses en vérités scientifiques universelles ».
[20] Les shî’ites, les khâkhirites, les murji’ites, les mu’tazilites, les jahmites, les dirâriya, les husayniya, les gens du peuple, les gens du hadîth, les kullâbiya.
[21] Voir ce tableau en annexe (non fourni ici).
[22] Luma § 85-90
[23] On pense bien sûr en particulier à la chute de Bagdad.
[24] Sémiologie : description spécifique de systèmes de signes particuliers.
[25] Dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia, on trouve la définition et les précisions suivantes : La sémiotique est l’étude des signes et de leur signification. En français, le terme sémiologie est souvent utilisé, avec la même signification. A tort puisque le principe sémiotique se différencie de la sémiologie à partir de Charles Saners Pierce. En effet celui-ci élabore un principe sémiotique fonctionnant sur un système triadique, quand la sémiologie fonctionne, elle, selon un système binaire. La sémiotique étudie le processus de signification c’est-à-dire la production, la codification et la communication de signes
[26] Islam. The view from the edge, C.U.P.,1994)
[27] Sans l’aide en ligne de wikipedia, nous n’aurions jamais compris ce qu’était une théologie inchoative, une éleugie, etc…
[28] C’est ce qui ressort explicitement de l’entretien accordé àl’Humanité, mais qui est confirmé par la lecture de l’article qui étude toujours la foi comme une phénomène extérieur.
[29] Nous reprenons ici un passage de notre résumé.